« La posture positive est un outil clé du facilitateur. En permettant au groupe de ressentir des émotions positives (joie, amusement, contentement, fierté…) elle favorise l’innovation, le développement de nouvelles compétences, l’adaptation au changement et la collaboration. Je crois que cette posture : 1/ peut-être utile à toute personne ayant à mettre un groupe en mouvement ; 2/ repose sur un certain nombre de façons de faire, applicables simplement. L’objet de cet article est de clarifier la notion de posture positive et de transmettre ces façons de faire. »
Cela va faire 2 ans et demi que je travaille en tant que facilitateur. J’ai eu l’occasion d’accompagner de nombreux groupes sur diverses problématiques : projection dans l’avenir, conception de stratégie, création de module de formation, team-building… Le contexte, les objectifs, les méthodes varient à chaque atelier, mais une chose m’est apparue comme constante : l’importance et la force de la posture positive. La satisfaction des clients, l’efficacité de l’atelier, ma pertinence… tout, ou presque, me semble reposer sur cet outil.
Or, des échanges récents avec des clients m’ont fait réaliser que cet outil pouvait être utile au-delà du cercle des facilitateurs et du temps de l’atelier.
La posture positive, spécifique à la facilitation, peut être un puissant outil managérial ou de gestion de projet, car elle permet notamment de mettre efficacement des groupes en mouvement.
Je souhaite donc proposer une description pratique de la posture positive, au-delà du fonctionnement intuitif, et une approche pragmatique de son utilisation.
Posture positive : de quoi parle-t-on ?
Par posture, j’entends une façon particulière de se comporter, dans le rapport aux autres, qui correspond à une intention. On prend conscience de sa posture, on travaille sa posture, on fait évoluer sa posture. Concrètement, la posture regroupe un ensemble de choses qui interviennent lorsqu’on est en présence d’autres personnes : notre façon de communiquer, d’échanger, de recevoir de l’information, mais aussi le non-verbal, les intentions…
La posture, c’est ce qui, en moi, va influencer la nature de mon rapport avec l’autre.
Par positif, j’entends tout ce qui rapporte à la joie, au sens philosophique du mot (voir Deleuze dans l’Abécédaire par exemple). Eprouver une émotion positive, joyeuse, a pour effet de connecter une personne à ce qu’elle peut. C’est-à-dire qu’elle va pouvoir faire des choses qui resteraient au stade de potentiel autrement. Et, réciproquement, dès que j’effectue une puissance, c’est-à-dire que j’agis dans une forme affirmative, j’éprouve de la joie.
La posture positive, c’est donc d’une certaine manière se connecter à ce qu’on peut (et ressentir de la joie), mais c’est aussi s’utiliser soi-même, dans le rapport aux autres, de manière à ce qu’ils se connectent à ce qu’ils peuvent. Permettre à leur spectre d’actions de s’élargir. C’est le contraire du pouvoir en ce sens qu’il s’agit de laisser le groupe libre d’aller où il veut (la direction) tout en se préoccupant de sa capacité à y aller (le carburant).
Posture positive : à quoi ça sert ?
Tenir une posture positive demande un effort. Il s’agit d’aller à l’encontre de certains réflexes et d’accepter une grande part d’incertitude. Quelle serait donc l’utilité d’une telle pratique ?
Commençons de l’autre côté du spectre, avec les émotions négatives. Bien connues des psychologues, les émotions négatives semblent avoir des fonctions très précises dans le cadre de la survie de l’espèce. Lorsque j’ai peur, mon pouls s’accélère, le sang afflue dans mes jambes, je suis prêt à fuir. Lorsque je suis en colère, ce sont mes épaules et ma mâchoire qui sont mobilisés. Je suis prêt à attaquer. Les émotions négatives sont très simples à comprendre : elles génèrent des signaux physiologiques très clairs et distincts, qui correspondent à une allocation d’urgence des ressources énergétiques, dans un but de survie.
Les émotions positives sont plus mystérieuses. Leurs signaux physiologiques sont moins distincts (on fait la même tête lorsqu’on est excité, content, contenté… : un léger sourire) et leur utilité dans les mécanismes de survie, et donc d’évolution, beaucoup moins clairs. Dans un papier de recherche, Barbara L. Fredrickson propose une compréhension du rôle des émotions positives qui fait écho avec la perspective philosophique citée au-dessus : là où les émotions négatives ont pour rôle de réduire et de concentrer les capacités de l’individu (pour réagir en urgence face à un danger), les émotions positives ont pour rôle d’élargir momentanément le répertoire d’actions ou de pensées. Elles permettent de sortir des modes de fonctionnements habituels, automatiques. L’exemple le plus fort est l’image de l’enfant qui, au réveil, plein de joie, va chercher à jouer avec son environnement et ainsi l’explorer d’une manière inédite.
Adopter une posture positive et permettre, voire favoriser les émotions positives chez les personnes avec qui vous travaillez, a donc les effets suivants :
En premier lieu, cela permet donc à la personne ou au groupe de fonctionner de manière plus variée et inédite. Plutôt que d’être recroquevillé face à des réprimandes, il devient possible de se connecter à de nouvelles manières d’être et de faire et ainsi de relever les challenges qui se présentent avec de nouveaux outils.
Ensuite, cela favorise grandement l’apprentissage. Puisque les émotions positives favorisent l’extension du répertoire d’action et de pensée, il y a donc jeu et expérimentation. Et, les effets d’apprentissage de ces jeux et expérimentations restent après que l’émotion ait été ressentie.
Troisième point, aussi conséquence du premier, cela favorise le changement. Comme décrit largement dans Switch des frères Heath, on prend pour de la résistance au changement ce qui, en réalité, est de l’épuisement de l’esprit qui se force à agir contre son instinct. Il importe de considérer la partie émotionnelle en nous, qui a besoin de gratifications rapides et de challenges accessibles. Pour lever les freins au changement, il faut nourrir les gens d’émotions positives fréquentes.
Dernier point, les émotions positives favorisent la collaboration. En ouvrant le spectre des possibles, elles permettent l’ouverture aux idées des autres, les échanges, les rebonds. L’ouverture intellectuelle et émotionnelle produite par l’émotion positive permet d’éviter de se retrouver à défendre ses positions.
Innovation, apprentissage, changement, collaboration : il semble que la posture positive produise des effets très largement recherchés par les organisations d’aujourd’hui !
Posture positive : comment faire ?
Il n’existe évidement pas de recette toute faite pour générer des émotions positives autour de vous. Le principal déterminant de votre posture, c’est clairement votre humeur. Si vous êtes joyeux, vous allez probablement adopter une posture favorisant les émotions positives. Si vous êtes énervé, cela risque d’être plus compliqué… On ne contrôle pas la couleur de ses émotions (même s’il est très utile de la connaître) et il importe de prendre soin de soi afin de pouvoir avoir la posture voulue.
Il peut cependant arriver de se lever du mauvais pied et pourtant devoir faire travailler son équipe hors des sentiers battus. Je vous propose donc 5 outils qui peuvent permettre d’amorcer et de tenir une posture positive. A noter : une posture, c’est le résultat d’un ensemble de choses, dont beaucoup nous sont inconscientes (la façon dont je me tiens par exemple). Il s’agit donc de cultiver une pratique en demandant du feed-back régulier (et positif !).
1/ Veiller à la qualité du climat.
Dès que vous interagissez avec d’autres personnes, vous contribuez à créer un climat, c’est-à-dire une atmosphère morale. Le premier point d’une posture positive, c’est la prise en compte de ce climat et de son impact sur les gens et les relations. Il existe nombre de règles simples pour favoriser un climat positif. Prévoyez par exemple un temps systématique pour les discussions informelles en début de réunion. D’une manière générale, gardez à l’esprit que toute réunion est aussi un moment de sociabilité, qu’on le veuille ou non.
2/ Adopter une perspective additive.
Deleuze disait de l’empirisme : il s’agit de remplacer EST par ET. On a souvent tendance à vouloir définir (dire EST) et donc à faire rentrer les choses dans des cases (est-ce que ce nouveau projet EST une bonne idée pour l’organisation ?). Cela a pour conséquence d’éloigner les idées, les suggestions qui sont hors de ces cases et de produire des émotions négatives. Or, il n’est pas nécessaire de définir autant. La réalité est multiple, les choses sont toujours plusieurs choses et la somme des perspectives a toujours un intérêt (le projet est une bonne idée ET un risque ET une perspective ET un changement plus important qu’imaginé ET…). Vous pouvez par exemple pratiquer l’utilisation du « oui et » à la place du « oui mais ». Avec une seule conjonction qui change, c’est toute une perspective qui est renversée ! Faites confiance au ET (il sera temps de décider d’engager le projet une fois qu’on aura fait le tour de ce qu’il représente) !
3/ Adopter une perspective dynamique.
Comme on croit beaucoup aux définitions circonscrites, on croit aussi à la qualité intrinsèque des choses. C’est bon ou c’est faux. C’est bien ou c’est mal. Cela a pour conséquence l’émission de jugements : « cette réunion était nulle ». Cela blesse, creuse, sans créer quoi que ce soit. A l’opposé, considérer les choses d’un point de vue dynamique c’est prendre conscience des changements possibles et adopter une perspective stratégique. Verbaliser ce qui pourrait être fait pour que la prochaine réunion soit bonne. Parler de delta : comment faire pour que ça soit mieux.
4/ Utiliser le recadrage positif
Nous considérons souvent nos jugements, nos avis, comme des vérités provenant de l’observation (il ne répond pas à mes mails, c’est donc qu’il m’en veut). Or, l’expérience montre que ce que l’on pense provient d’une interprétation, immédiate, mais qu’il est possible de changer (il ne répond pas à mes mails parce qu’il n’a pas le temps ? parce qu’il a peur de ma réaction ? parce qu’il est étourdi ?). Dans la même logique qu’il est bénéfique de reformuler un problème avant d’essayer de le résoudre, il peut être pertinent de recadrer les interprétations formulées par un groupe et donc de donner un nouveau sens positif à la situation (voir ces ressources sur l’approche de l’école de Palo Alto). Si par exemple il est exprimé que telle personne a bloqué le projet par pure malice, il peut être intéressant de suggérer que cette personne pouvait avoir des intentions louables (protéger l’organisation du désordre par exemple). La modification induite de l’interprétation modifiera ainsi les comportements (on sera moins agressif avec quelqu’un qui cherche à sauver l’organisation à sa manière qu’avec quelqu’un qui cherche à nous nuire) et permettra au groupe d’atteindre plus facilement ses buts.
5/ Faire parler les autres avant soi-même.
Dernier outil au service d’une posture positive : le silence ! Être au service du groupe ou de la personne en face et lui permettre de se connecter à ses capacités implique de lui laisser de la place. Pour cela, une technique simple et efficace : permettre à votre interlocuteur de construire lui-même ses solutions, ses interprétations (ce qui n’empêche pas d’en suggérer d’autres ensuite). Commencer par laisser l’autre parler a pour finalités vertueuses de lui permettre de construire du sens et de la confiance et de le rendre attentif à ce que vous pourriez dire ensuite. Si on vient vous voir avec un problème, commencez par poser la question : « qu’en penses-tu ? ».
Conclusion
Adopter une posture positive a donc des effets bénéfiques très forts. Poussée au bout, il s’agit d’un changement de logique : laisser de côté l’ambition de la Vérité pour adopter une perspective pragmatique. Il est beaucoup moins important que vos collaborateurs soient justes tout le temps, évitent les erreurs et ne disent que des choses sensées que de leur permettre d’innover, de développer de nouvelles capacités, de changer, de collaborer.
Il ne s’agit pas de passer sous silence les problèmes ou les failles, mais de s’armer collectivement pour les résoudre et améliorer les choses.
Pour conclure, il ne s’agit évidement pas d’être positif 365 jours par an ! Non seulement c’est impossible, mais ça peut être dangereux ! Si les émotions positives favorisent l’intuition, la créativité, les émotions négatives sont associées à l’analyse et à l’effort intellectuel. D’après Kahneman (Thinking, fast and slow), être de très bonne humeur rend plus susceptible de faire des erreurs logiques et d’être victime de biais cognitifs…
Alors, quelle ligne adopter ? Dans les interactions aux autres, vous pouvez garder en tête ce résultat du psychologue John Gottman. Après seulement 15 minutes avec un couple, il était capable de prédire son divorce avec 90 % de réussite. Il lui suffisait pour cela de compter le nombre d’expressions positives et d’expressions négatives émises par les deux personnes. Gottman était arrivé à un ratio magique pour garantir la « survie » d’un couple : 5 expressions positives pour chaque expression négative !