Négociation et facilitation – Synthèse Getting to yes

Une méthode pour mieux négocier

Dans le cadre de mon métier de facilitateur, je suis régulièrement amené à traiter des situations de conflits au sein d’un groupe, ou entre des équipes ou entités. Il peut s’agir d’une opposition ponctuelle entre deux personnes lors d’une discussion, ou de l’accompagnement d’une équipe dans sa stratégie interne pour faire valoir ses idées et sa position. Mon approche de ce genre de sujet était jusque-là assez intuitive, mais je ressentais le besoin d’aller plus loin et de trouver des méthodes pour gérer intelligemment ces situations tendues.

Je suis naturellement tombé sur ce classique de la littérature de la négociation : Getting to yes, de Roger Fisher et William Ury. C’est un livre lumineux, enthousiasmant et très concret qui présente de façon illustrée la méthode de la négociation raisonnée. Sa lecture m’a donné envie de formaliser et de partager une synthèse qui rendrait l’approche proposée accessible à toutes et tous. La voici !

Ce que vous y apprendrez :

  • Pourquoi notre approche naturelle de la négociation, le marchandage de position, est complètement à côté de la plaque pour réussir une négociation
  • Qu’il existe 4 principes à suivre pour parvenir à un accord raisonnable, de façon efficiente, tout en préservant la relation entre les parties impliquées :
    1. Séparer la personne du problème. Lors d’une négociation, on n’est pas en opposition à la personne mais à côté d’elle en train de résoudre un problème.
    2. Se concentrer sur les intérêts et non les prises de position. Une négociation réussie nécessite à la fois d’être ferme sur ses intérêts et ouvert sur les solutions possibles.
    3. Générer une variété de possibilités avant de prendre une décision. “Dans une situation complexe, l’invention créative est une absolue nécessité.”
    4. Insister sur le fait que le résultat soit fondé sur des critères objectifs. Les principes objectifs sont votre partenaire têtu qui vous protégera de la pression
  • Comment faire si la négociation n’aboutit pas et pourquoi le fait de poser une bottom line (ou ligne rouge) n’est pas la bonne façon de faire
  • Et enfin, ce qui m’a poussé à écrire cette synthèse est les liens que je fais entre la négociation et la facilitation

On y va ?

Le problème : marchander autour de prises de position

La négociation est une des interactions humaines les plus fondamentales. Nous sommes tous des négociateurs et des négociatrices. Que l’on discute de son salaire avec sa boss, que l’on demande à son enfant d’aller se coucher ou qu’on tente de faire la paix entre deux pays en guerre… Nous négocions.

Or, nous souffrons d’une image horrible de la négociation. Typiquement, celle-ci a lieu dans un souk, alors que vous cherchez à acheter une jolie babiole à ramener de votre séjour à Marrakech (”on a adoré le Maroc”). Vous abordez le vendeur, conscient de votre statut de touriste occidental à plumer et décidez de ne pas vous faire avoir. Vous estimez la babiole à 10 €. Vous choisissez donc de poser les choses clairement, en proposant, après les échanges convenus d’introduction, le prix de 2 euros. Stupéfaction, choc, colère, tristesse. Les émotions se succèdent sur le visage de votre vendeur. Après une introspection métaphysique, il décide finalement de poursuivre la conversation pour vous annoncer que votre prix l’insulte, que cette babiole est un objet rare et qu’il préférerait fermer boutique plutôt que de s’en séparer pour moins de 50 euros. Vous sentez qu’il va falloir mettre de l’eau dans votre vin et consentez à monter à 5 euros. Scandale ! Il propose 20 euros. Et ainsi de suite…

Est-ce que cela semble familier ?

Vous aussi, vous avez fini par payer votre babiole un peu trop cher ?

Mais surtout, vous aussi, vous avez considéré qu’une négociation était un rapport de force, une bagarre, où il s’agissait de faire plier la partie adverse ?

Cette approche de la négociation, appelée le marchandage de positions (positional bargaining) consiste à afficher une position et à tenter de la tenir la plus longtemps possible et elle est grandement problématique. En effet, toute méthode de négociation doit être jugée à l’aune de 3 critères :

  • elle doit produire un accord raisonnable, si c’est possible. Par accord raisonnable, les auteurs entendent un accord qui prend en compte les intérêts légitimes de chaque partie, dans la mesure où c’est possible, qui résout de façon juste les intérêts conflictuels, qui est durable et qui prend en compte les intérêts de la communauté ;
  • elle doit être efficiente (c’est à dire, pour un résultat donné, elle doit minimiser le temps, l’argent et l’effort investis) ;
  • et elle doit améliorer, ou au moins ne pas détériorer la relation entre les parties.
 

Or, le marchandage échoue à chacun des critères :

  • il ne permet pas de produire des accords raisonnables, dans la mesure où votre engagement sur votre position initiale et l’envie de ne pas perdre la face vous empêchent de voir les enjeux sous-jacents des participants. Dans ces conditions, impossible d’être attentif aux intérêts légitimes de chacun !
  • il est inefficient : vous allez naturellement commencer par annoncer une position la plus haute possible, puis céder le moins de terrain. Tout cela prend du temps… ;
  • il met en danger la relation : on sort rarement d’une telle négociation avec l’envie de nouer des liens avec son opposant.

Alors que faut-il faire ? Lâcher du lest et se centrer sur ce que veut l’autre ? Attention, être gentil n’est pas non plus la solution ! Prenons un exemple.

Vous vous rendez dans le bureau de votre boss. C’est l’entretien annuel et donc le moment de la négociation salariale. Vous êtes partagé entre votre désir : vous avez bossé dur cette année et vous savez que votre boss vous attend sur des projets à enjeux, vous aimeriez donc avoir une augmentation conséquente. En discutant avec vos proches, vous vous dites que 15 % ça ferait un bon point de départ, pour obtenir 7% au minimum. C’est vrai quoi vous le méritez bien ! En même temps, vous savez que votre boss est sous pression, qu’un gros contrat est récemment tombé à l’eau et que les perspectives ne sont pas florissantes. Et puis vous l’aimez bien et vous n’avez pas envie de l’embêter avec vos histoires.

Alors, faut-il aborder cette négociation de façon dure ? Ou gentille ?

On oppose souvent les marchandeurs durs et ceux qui sont gentils. Cela amène à des dichotomies peu fonctionnelles, comme : l’autre partie est-elle amie, ou ennemie ? Faut-il lui faire confiance, ou ne pas lui faire confiance ? Faut-il chercher la réponse qu’il est susceptible d’accepter ou celle que vous, vous pouvez accepter ?

La réalité est souvent plus complexe (votre boss est à la fois sous pression ET il a fortement besoin de vous pour la suite). On ne peut donc passer de la position du hard bargainer à de l’angélisme ! Il ne s’agit pas de sacrifier ses intérêts, ce serait le contraire d’un accord raisonnable.

Il existe heureusement une alternative.

Votre mission, si vous l’acceptez, va être de négocier… la façon de conduire la négociation ! Est-ce qu’on ne pourrait pas sortir du script déjà écrit ? Dépasser la simple opposition des 2 positions ?

C’est un des points clés de ce livre : réfléchir à la négociation, comme réfléchir à toute interaction humaine, implique de passer au mode méta. Comme dans l’approche de Palo Alto, il s’agit de méta-communiquer (communiquer sur la façon de communiquer : “quand tu dis ça, est-ce que tu veux dire ceci ?”), afin de révéler le processus invisible, les présupposés qu’on ne voit que lorsqu’on négocie avec quelqu’un qui vient d’une culture radicalement différente. Il s’agit de proposer, à la place du marchandage, une méthode. Elle s’appelle : la négociation raisonnée (principled negociation).

Les 4 piliers de la négociation raisonnée :

  1. Séparer la personne du problème
  2. Se concentrer sur les intérêts et non les prises de position
  3. Générer une variété de possibilités avant de prendre une décision
  4. Insister sur le fait que le résultat soit fondé sur des critères objectifs

1/ Séparer la personne du problème

Un leader syndical demande à ses hommes : “Ok les gars, qui a lancé la grève ?”. Jones s’avance. “C’est moi. C’est ce débile de contremaître, Campbell. Ça fait 5 fois en 2 semaines qu’il me sort du groupe pour faire un remplacement. Il est toujours sur mon dos et j’en ai marre. Pourquoi je devrais me taper tout le sale boulot ?”. Plus tard, le syndicaliste confronte Campbell : “Pourquoi vous sélectionnez toujours Jones ? Ça fait 5 fois en deux semaines qu’il a été mis sur un remplacement. Qu’est-ce qu’il se passe ?”. Campbell répond : “Je choisis Jones parce qu’il est le meilleur. Je sais que je peux lui faire confiance pour que les choses ne dérapent pas au sein d’un groupe auquel il manque un élément clé. Je l’envoie sur les remplacements uniquement quand c’est un élément de qualité qui manque. Sinon j’envoie Smith, ou quelqu’un d’autre. C’est juste qu’avec la grippe, il y a eu beaucoup d’absences d’éléments clés. Je ne savais pas que ça dérangeait Jones, je croyais qu’il aimait la responsabilité.”

Ha, les humains !

On le constate encore et encore, nous faisons tous comme si nous étions des êtres entièrement rationnels, des cerveaux sur patte, qui s’envoyaient des messages parfaitement limpides. Quoi, Campbell ne savait pas que j’étais en colère ? C’est pourtant évident !

Or, scoop : tout le monde a des émotions, des biais, des enjeux d’honneur et d’image de soi. On peut donc ignorer cet état de faits et se lamenter des mauvais résultats de nos interactions, ou prendre cela en compte et travailler à partir de là (car oui c’est plutôt le début du trajet que la fin).

Les négociateurs et les négociatrices sont donc des personnes. Ils ont des émotions, des valeurs, des intérêts, des background différents et ils sont imprédictibles. Et vous l’êtes aussi. A tout moment d’une négociation, cela vaut donc la peine de se poser la question : est-ce que je prête suffisamment attention au problème humain ?

Tout négociateur a deux types d’intérêt : la substance et la relation.

Lorsque vous débattez avec votre sœur de la maison de campagne qu’il s’agit de louer pour les vacances, même si vous préférez la mer à la montagne, vous tenez probablement encore davantage à votre relation avec elle qu’à l’idée de pouvoir vous baigner lors des vacances de pâques.

En fait, dans un grand nombre de situations de négociation, depuis les relations familiales jusqu’aux rapports entre état, en passant par les liens commerciaux de long termes, la relation en cours est bien plus importante que le résultat de n’importe quelle négociation ponctuelle.

Or dans bien des interactions et en particulier lors de négociations sensibles, nous avons tendance à mêler les deux niveaux. C’est vrai et particulièrement clair, lorsque nous recevons des messages qui peuvent paraitre agressifs. Imaginons. Votre partenaire rentre et avant de vous dire bonjour s’exclame : “La cuisine est encore en bordel !”. Il est probable qu’avant de considérer le problème (La cuisine est-elle sale ? Très sale ? Comment ça se fait ? Etait-ce mon rôle de la ranger ?), vous soyez d’abord pris par le sentiment d’être agressé. La question de l’état de la cuisine va se confondre avec l’insécurité et la colère que vous ressentez.

La proposition des auteurs est donc : prendre le sujet de la relation au sérieux. On pourrait même dire : à cœur.

Séparer la relation de la substance : gérer directement le problème humain

En réalité, il est possible de gérer un problème de substance tout en maintenant une bonne relation. La condition est que les deux parties soient prêtes à s’engager psychologiquement à gérer les deux sujets séparément, selon leurs propres mérites.

Pour faire simple : on peut (et on doit) être sympa, même lorsqu’on traite de sujets tendus.

Alors, comment peut-on travailler sur la question relationnelle dans une situation de négociation ? D’abord en considérant que nos perceptions peuvent être un obstacle à la résolution du problème.

Travailler sur les perceptions en faveur de la résolution du problème

Comme l’écrivent Fisher et Ury : “Comprendre la façon de penser de l’autre ne va pas juste vous aider à régler le problème. Leur façon de penser EST le problème”. Les relations conflictuelles entre individus ou entre nations ne se situent pas dans la réalité, mais dans le domaine de l’esprit. Votre voisin Maurice a l’impression que vous faites du bruit pour lui nuire. L’Inde et le Pakistan ont chacun l’impression que l’autre lui veut du mal. Peu importe, finalement, que cela soit vrai ou pas factuellement.

Si la perception qu’a l’autre du problème est le problème, cela veut dire aussi que c’est par là que se trouve le chemin de la solution.

Quelques bonnes pratiques :

Se mettre à la place de votre interlocuteur. C’est galvaudé, mais c’est incroyable à quel point la capacité à “essayer” un autre point de vue est un super pouvoir. Je me souviens d’un séminaire sur la négociation organisé durant mes études. Deux groupes représentant deux parties d’une négociation avaient chacun des consignes, un contexte. Nous avons chacun plongé dans notre situation, nous projetant dans le cas fictif qui nous était proposé, jusqu’à rapidement considérer que l’autre partie agissait avec mauvaise foi. La tension est montée à tel point que les deux groupes ont décidé de déjeuner séparément. A aucun moment qui que ce soit ne s‘est posé la question des consignes qu’avait reçues le groupe d’en face…

Or, comprendre le point de vue en face peut vous amener à faire évoluer votre propre point de vue. Ce n’est pas un coût mais un bénéfice : ça réduit la zone de conflit et ça vous aide à avancer dans votre intérêt de façon plus contextualisée.

Ne pas leur faire de reproches pour nos problèmes. Les reproches font que la partie adverse cesse de vous écouter et se contente de répliquer.

Discuter des perceptions des uns et des autres. Il s’agit de méta communiquer ! Il faut rendre les perceptions explicites et en discuter avec l’autre partie. On peut évidemment soulever les points négatifs (”J’ai l’impression que notre échange vous met en colère”). Mais on peut, et on doit, verbaliser les choses positives : “J’ai vraiment le sentiment que vous avez une attitude constructive et que vous faites ce que vous pouvez pour qu’on trouve une solution.”

Agir de façon à faire évoluer la perception en face. Dire c’est bien, faire c’est mieux ! En novembre 1977, Anouar el-Sadate est venu en personne à Jérusalem pour discuter de paix avec les Israéliens. Le même homme qui les avait attaqués par surprise 4 ans plus tôt, qui incarnait, avec son pays, l’Égypte, l’ennemi d’Israël, a pris le risque de venir en personne dans la ville que même les Etats-Unis ne reconnaissaient pas comme la capitale de l’Etat hébreu.

Faire participer les parties prenantes au processus. C’est le cœur des approches d’intelligence collective : on accepte beaucoup plus volontiers une décision à laquelle on a contribué. Dans ce cadre, les sentiments des participants lors de la négociation sont, après l’objet de la discussion – la substance – le facteur le plus important pour savoir si un négociateur va accepter un accord. On peut donc dire avec les auteurs : “dans un sens, le process est le produit”.

Dernier point : prendre en compte l’image qu’a la personne d’elle-même. On a tendance à trouver déplacé le besoin que peut avoir quelqu’un de ne pas vouloir perdre la face. En réalité, il s’agit d’une motivation naturelle : la volonté inconsciente d’être en cohérence avec ses choix passés, ses principes. Ainsi, il est parfois beaucoup plus simple de faire varier la forme pour que la substance de la décision semble juste aux yeux de la partie en face. C’est ce Maire qui rejette l’accord passé avec une communauté indigène, jusqu’à ce qu’il soit retiré et que ce même maire puisse l’annoncer comme une promesse de campagne.

Donner une place aux émotions

Les émotions – souvent l’éléphant dans la pièce – sont un élément clé à prendre en compte lorsqu’on aborde la question des relations humaines. Il s’agit d’abord de les reconnaitre et de les comprendre. Les émotions de la partie adverse… et les siennes. Exemple emblématique et tristement d’actualité : Israéliens et Palestiniens se sentent chacun menacés dans leur existence. Cette émotion puissante cascade donc sur tous les sujets concrets de discussion. Puisqu’en vision large ils ressentent une menace pour leur survie, ils voient tous les sujets en termes de survie.

Que faire alors ?

Relâcher la pression. Quand la tension monte, quand ça coince, une façon simple de gérer les émotions est de permettre à la partie en face de relâcher la pression. Face à la colère, ou à la frustration, ce que vous pouvez faire de plus efficace pour passer à autre chose… C’est laisser l’autre exprimer ce qu’il ressent. Quand on rentre chez soi après une dure journée, on ne se sent pas mieux si notre partenaire nous dit : “Pas besoin de me raconter, je me doute que ça a été difficile aujourd’hui”.

Éviter l’escalade. En revanche, il ne faut pas réagir émotionnellement aux expressions émotionnelles des autres, au risque de générer une escalade. Dans les années 50 un groupe d’échange entre salariés et dirigeants de l’industrie de l’acier a mis en place une règle efficace : une seule personne peut se mettre en colère à la fois. Cela permet de relâcher la pression (c’est vrai que c’est au tour de John !) et d’éviter l’embrasement.

Jouer des symboles. Enfin, bien des enjeux émotionnels peuvent être traités par des gestes symboliques gratuits. On connait tous la force d’offrir une rose. De la même manière, une excuse peut être un des meilleurs investissements dans une négociation.

Avoir une communication efficace

Autre gros sujet qu’il s’agit de prendre en compte lors d’une négociation : la communication. Pour faire simple, ce n’est pas parce qu’on s’est exprimé qu’on a été compris.

Que faire ? Quelques bonnes pratiques:

Écouter attentivement et reconnaitre ce qui a été dit. La concession la moins coûteuse pour vous, c’est de faire en sorte que l’autre partie sache qu’elle a été entendue. N’hésitez pas à répéter, reformuler et à vous assurer que vous avez bien compris ce que l’autre voulait dire.

Parler pour être compris et non pour gagner. On oublie parfois que les négociations ne sont pas des débats. Il s’agit moins d’une plaidoirie pour convaincre un jury, que d’une discussion entre deux juges sur une affaire complexe. On laisse de côté les effets de manche.

Établir des moyens de communication privés et confidentiels. Peu importe combien de personnes sont impliquées dans une négociation, les décisions importantes sont prises quand il n’y a pas plus de 2 personnes dans la pièce.

Parler de soi, pas d’eux. En s’inspirant de la communication non-violente, s’exprimer au JE. “Je me sens trahi” est une phrase qui ne nuit pas à la relation. “Tu m’as trahi” en revanche…

Mieux vaut prévenir que guérir

Enfin, il est essentiel de développer une relation de travail avant le début de la négociation. N’hésitez pas à arriver en avance à une séance de travail avec la partie adverse. Benjamin Franklin avait une technique pour bien démarrer ses négociations : il demandait à son adversaire s’il pouvait lui emprunter un livre. C’est flatteur pour la personne en face et ça lui donne d’emblée le sentiment agréable que Franklin lui en doit une…

Pour conclure, il s’agit donc de considérer que lors d’une négociation, on n’est pas en opposition à la personne en face, mais à côté d’elle, en train de faire face au problème.

2/ Se concentrer sur les intérêts et non les prises de position

C’est l’histoire de deux hommes qui se disputent dans une bibliothèque. L’un veut que la fenêtre soit ouverte, l’autre qu’elle soit fermée. Ils discutent, débattent et le ton monte. Aucun solution satisfaisante n’apparait qui puisse aller aux deux. Arrive la bibliothécaire. Elle demande au premier : “Pourquoi voulez-vous ouvrir la fenêtre ?”. “Pour avoir de l’air frais.” Elle demande à l’autre pourquoi il souhaite qu’elle soit fermée. “Pour éviter les gouttes de pluie à l’intérieur”. Elle réfléchit une minute, puis elle va dans la pièce d’à côté et ouvre en grand la fenêtre, apportant ainsi de l’air frais sans risque de pluie !

Pour une solution raisonnable, il faut réconcilier les intérêts et non les prises de position

Quand on est centré sur sa prise de position, on ne pense qu’à ça (je veux + 10 % d’augmentation !) et cela nous empêche de voir les autres solutions qui pourraient émerger.

Se centrer sur les intérêts sous-jacents permet d’identifier le problème à résoudre.

Lors de la rencontre de Camp David, en 1978, les positions des Israéliens et des Égyptiens étaient irréconciliables. Israël occupait le Sinaï depuis 1967 et la guerre des 6 jours. A leur arrivée à la table des négociations, les Israéliens insistaient sur le fait d’en conserver une portion. Or, cela était inacceptable pour les égyptiens qui demandaient que tout le Sinaï revienne sous leur souveraineté. Beaucoup de lignes ont été tracées sur la carte, pour tenter de trouver un point d’accord entre les prises de position exprimées. Mais aucun compromis n’était acceptable pour les Égyptiens et revenir à la situation de 1967 était impossible pour Israël…

C’est le changement de focale depuis les prises de position des parties vers leurs intérêts sous-jacents qui a permis de trouver une solution. L’intérêt d’Israël, c’était sa sécurité. Ils ne voulaient pas de tanks égyptiens à leurs frontières, prêts à entrer dans leur pays à n’importe quel moment. L’intérêt de l’Égypte, c’était la souveraineté. Le Sinaï était égyptien depuis l’époque des pharaons. Après des siècles de domination des Grecs, des Romains, des Turcs, des Français et des Anglais, les Égyptiens avaient récemment retrouvé la souveraineté sur tout leur territoire et ils n’étaient pas prêts à revenir en arrière.

A Camp David, en considérant ces intérêts sous-jacents, le président Sadate et le premier ministre Begin se sont finalement accordés sur un plan : retour complet du Sinaï sous souveraineté égyptienne, en échange de la démilitarisation de larges zones proches de la frontière. Le drapeau égyptien flotterait donc sur la péninsule, mais aucun tank ne pourrait approcher Israël.

Se centrer sur les intérêts, plutôt que sur les prises de position est une méthode qui fonctionne pour 2 raisons :

  • D’abord, pour tout intérêt qui existe, il existe différentes positions qui peuvent le satisfaire. Le besoin de sécurité d’Israël est servi par le fait d’annexer le Sinaï ou qu’il soit démilitarisé. Se centrer sur les intérêts permet de voir des solutions alternatives qui fonctionnent.
  • Ensuite cela fonctionne, parce que derrière des positions antagonistes, il existe beaucoup d’intérêts autres que conflictuels. Ainsi, derrière l’opposition sur le Sinaï, Israéliens et Égyptiens avaient par exemple des intérêts communs sur leur besoin de stabilité dans la région.

Comment identifier les intérêts de l’autre partie ?

Il faut d’abord poser la question directement : “pourquoi”. Ou plutôt : “pour quoi”. Vous ne voulez pas que l’autre se sente obligé de se justifier, mais qu’il exprime l’intention derrière sa position. Mais vous pouvez aussi vous demander “pourquoi pas”. Pourquoi votre interlocuteur a fait ce choix et pas un autre. Pourquoi il n’a pas agi comme l’aviez demandé.

Ainsi, il peut être éclairant de se mettre dans la peau du leader étudiant iranien, à qui, en 1980, les américains demandent de relâcher immédiatement les 52 otages capturés à l’ambassade. A la question : “Dois-je appuyer la libération immédiate des otages ?” il peut dire oui ou non. S‘il dit oui (ce que souhaitent les américains), il “vend” la révolution, il sera critiqué comme pro-américain, puis si les otages sont libérés, l’Iran aura l’air faible, ils n’obtiendront rien en échange et ils n’ignorent même ce que feront les américains. S’il dit non, il soutient la révolution, il sera salué comme un défenseur de l’Islam, l’Iran aura une super couverture télé internationale, passera pour un état fort… et ils pourront toujours les relâcher plus tard ! 

Il importe aussi de bien avoir à l’esprit que toutes les parties ont des intérêts multiples. En tant que futur locataire d’un appartement, vous voulez certes l’avoir au prix le plus bas, mais vous voulez aussi l’avoir rapidement et idéalement avoir une bonne relation avec votre loueur.

Finalement, les intérêts les plus puissants sont les besoins humains de base : sécurité, bien-être économique, sentiment d’appartenance, reconnaissance, contrôle sur sa vie. En Irlande du Nord, les leaders protestants ignoraient le besoin d’appartenance et de reconnaissance, le désir d’être traité en égaux des catholiques. Les leaders catholiques, eux, sous-estimaient le besoin des protestants se sentir en sécurité. Dire que la peur des protestants est “leur problème”, plutôt qu’un sujet d’attention légitime, rend la résolution du problème encore plus complexe.

Au fur et à mesure des échanges il est essentiel de lister les intérêts en jeu lorsqu’ils apparaissent.

Il faut parler des intérêts en jeu

Le but d’une négociation est de servir vos intérêts. La chance que cela arrive augmente quand vous les communiquez. Pour faire cela, quelques bonnes pratiques.

Rendre vos intérêts vivants et concrets. N’hésitez pas à décrire de façon très spécifique, avec des détails concrets, la situation que vous vivez. Du moment que vous n’insinuez pas que les intérêts de la partie adverse sont négligeables ou illégitimes, vous pouvez vous permettre de transcrire de façon intense vos préoccupations. Pour vous inspirer des bonnes pratiques, vous pouvez regarder notamment mon article sur le livre Made to stick.

“Cela fait trois fois, la semaine dernière, qu’un camion a failli renverser un enfant dans la rue Emile Pehant. Mardi matin, à 8h35, votre grand camion rouge qui roulait vers le centre-ville à 60 km/h a dû piler au dernier moment et s’est arrêté à 20 cm de Diane Francine, une enfant de 6 ans qui se rendait à l’école.”

Reconnaître leur intérêt comme une composante du problème. Les gens vous écoutent mieux quand ils sentent que vous avez compris leur problème. Il faut donc le formuler. Cela montre aussi que leurs intérêts font partie du problème global à résoudre. C’est particulièrement simple lorsque vous avez des intérêts communs.

“Cela serait terrible pour tout le monde si un de vos camions renversait un enfant.”

Poser le problème avant de donner la réponse. “Nous considérons que vous devez interdire à vos chauffeurs de rouler à plus de 20 km/h et les forcer à faire un détour, je vais vous dire pourquoi…” En démarrant par la conclusion, on est sûr que les gens ne vont pas vous écouter. Si vous voulez que quelqu’un écoute votre raisonnement, partagez le, ainsi que vos intérêts, avant de livrer votre conclusion et vos propositions.

Être concret, mais flexible. Il s’agit de se projeter et de traduire les intérêts en options concrètes : “si demain la partie adverse est ok pour signer un accord, sur quoi est-ce que j’aimerais qu’ils aient avancé ?” Il s’agit d’avoir plusieurs réponses à la question, et que celles-ci soient illustrées. Le concept clé, c’est “spécifique et illustré”. Il s’agit d’arriver à la négociation avec différentes options de ce qui pourrait fonctionner pour vous. Mais aussi avec l’esprit ouvert ! “Un esprit ouvert n’est pas un esprit vide”.

Soyez dur avec le problème, doux avec les gens. Il est sage de s’engager fermement, non sur des prises de position, mais sur ses intérêts. C’est là que l’on peut mettre son énergie agressive. “Nous avons un besoin vital de pouvoir nous sentir en sécurité dans notre rue ! C’est invivable de devoir, tous les matins, avoir peur pour ses enfants !”. Deux négociateurs qui poussent à fonds leurs intérêts vont faire preuve d’imagination pour trouver des solutions mutuellement acceptables.

En revanche, dès lors que vous attaquerez les gens, ils ne vous écouteront plus. Soyez ouvertement dans le soutien. Écoutezl-es avec respect, montrez de la courtoisie, exprimez votre appréciation pour leur temps et leurs efforts. Montrez de l’empathie avec leurs besoins de base. Faites-leur comprendre que vous attaquez le problème et pas eux !

Être à la fois dur avec le problème et doux avec la personne contribuera de plus à créer une forme de dissonance cognitive chez votre partenaire, qui le poussera… à vouloir régler le problème !

En conclusion de cette partie, on peut dire qu’une négociation réussie nécessite donc d’être à la fois ferme (sur ses intérêts) et ouvert (sur les solutions possibles).

3/ Inventer des options pour des gains mutuels

Si le problème est posé comme un gâteau à diviser en différentes parts et que les parties divergent sur la taille de leur part respective, alors vous pouvez vous retrouver bloqué. Or, l’exemple du Sinaï montre qu’une option créative peut faire la différence : on peut changer de regard sur le gâteau et l’agrandir ! La capacité à inventer des options est une des qualités les plus précieuses qu’un négociateur peut avoir !

Pourquoi est-ce compliqué d’inventer des options ?

Il existe 4 obstacles à notre capacité naturelle à inventer des réponses différentes à un problème. Elles rejoignent assez parfaitement les principes de la créativité.

  • Nous fonctionnons sur un mode critique et formons des jugements prématurés sur les situations
  • Nous cherchons une réponse unique et concluons notre idéation trop vite
  • Nous considérons que la taille du gâteau ne peut pas évoluer
  • Nous considérons que “régler leur problème, c’est leur problème”

Pour chacun de ces obstacles, nous allons voir des solutions.

Comment inventer des options ?

Séparer la phase d’invention de la décision. Il s’agit d’organiser un brainstorming dans les règles de l’art, en précisant qu’il ne s’agira pas de décider durant la séquence. Cela permet de calmer les enjeux et d’accéder plus simplement à ses capacités créatives. Au début de la séance, précisez bien les règles de la divergence : il s’agit de chercher d’abord de la quantité dans les idées, en mettant de côté son jugement. Durant le brainstorming, placez les participants côté à côte, qu’ils fassent symboliquement face au problème. Vous pouvez tout à fait considérer le fait d’inviter la partie “adverse” à participer au brainstorm.

Élargissez vos options. Comme dans tout processus créatif, le secret, pour avoir de bonnes idées dans une négociation, c’est de pouvoir choisir parmi beaucoup d’idées. Vous devez donc chercher à produire un maximum d’idées. Il existe différentes méthodes de relance pour réussir à produire de la quantité. Vous pouvez par exemple regarder la même situation à travers le regard de différents experts et noter ce qu’ils diraient.

Vous pouvez aussi faire varier la nature de l’accord que vous allez rechercher. Si un vendeur de chaussure ne parvient pas à se mettre d’accord avec son fournisseur sur la question du règlement d’une facture, ils peuvent s’accorder sur le fait d’aller voir un arbitre qui règle le litige. Il s’agit d’un passage logique de la substance (le problème, en l’occurrence, la facture) au processus (la méthode de résolution du problème, l’arbitre). On peut aussi s’accorder au second ordre en se mettant d’accord sur ce sur quoi on n’est pas d’accord.

Pour s’inspirer sur le type d’accord qu’il est possible de trouver, on peut distinguer les caractéristiques d’un accord fort en opposition à un accord plus faible.

FortFaible
SubstantifProcédural
PermanentProvisoire
TotalPartiel
FinalEn principe
InconditionnelContingent
ContraignantNon contraignant
Premier ordreSecond ordre

On peut finalement découper le sujet traité pour s’accorder uniquement sur une partie du problème.

Chercher les gains mutuels à travers les intérêts communs. Il s’agit de reconsidérer le gâteau. Si celui-ci est fixe, unidimensionnel et qu’il s’agit d’avoir plus au dépend de l’autre, la négociation va être compliquée. Il s’agit donc de déplacer son regard et de complexifier l’approche. On l’a dit, toute situation d’interaction est faite de différents intérêts. Parmi ceux-ci, il existe tout le temps des intérêts communs.

Vous êtes le manager d’une raffinerie et le maire de la ville vous annonce qu’il souhaite faire passer vos taxes annuelles de 1 à 2 millions de dollars. La situation de négociation est simple : il veut vous faire payer plus. Vous ne voulez pas vous délocaliser. Alors, comment la question des intérêts communs entre en jeu ?

Quel est l’intérêt du maire ? Il souhaite plus d’argent, pour développer les services de la ville. Pour cela, il souhaite globalement encourager le développement d’activités. Quels sont les intérêts communs ? Du fait du progrès technologique et de l’âge avancé de votre raffinerie, vous considérez actuellement un grand projet de rénovation et d’extension de votre usine. Vous êtes inquiet que le maire considère que cela entraîne encore une augmentation des taxes. Vous êtes aussi inquiet, car vous avez encouragé l’établissement dans la ville d’une usine de plastique. Est-ce que ces taxes vont menacer cette opération ?

L’intérêt partagé que vous avez avec le maire devient plus clair : vous souhaitez tous les deux encourager le développement économique et industriel de la ville. De ce point de vue, de nombreuses solutions originales peuvent être imaginées : une remise d’impôt pendant 7 ans pour les nouvelles industries, une campagne de communication en commun avec la chambre de commerce pour attirer des boîtes, une réduction des taxes pour les sociétés qui s’agrandissent… On peut tout à fait imaginer que ces idées vous fassent économiser de l’argent tout en augmentant les revenus de la ville.

Il s’agit donc de se demander : quelles opportunités a-t-on de coopérer et d’avoir des bénéfices communs. Ces opportunités doivent être exprimées de façon concrète et orientées vers le futur. Elles doivent devenir des objectifs.

Chercher les gains mutuels à travers les intérêts divergents.

Deux sœurs sont en train de cuisiner, chacune suivant sa recette. Toutes deux ont besoin d’une orange, mais il n’y en a qu’une dans la maison. Après beaucoup de discussions, elles parviennent à un accord : couper l’orange en deux. Mais cela ne leur permet pas de réaliser concrètement leur recette respective. Or, après coup, elles réalisent que l’une avait besoin de l’orange pour le zeste et l’autre pour le jus !

On le voit : avoir des intérêts divergents peut être une opportunité ! Lors d’une négociation, cherchez les éléments qui ont un faible coût pour vous et un grand bénéfice pour eux, et vice versa. Vous pouvez chercher dans les rapports différents au risque, des prévisions différentes ou des croyances différentes.

Faciliter leur prise de décision. Le succès de la négociation dépend, pour vous, du fait que la partie adverse prenne la décision qui vous arrange. Vous devez donc tout faire pour que prendre cette décision soit le plus simple possible pour eux. Il s’agit d’être au clair sur qui l’on a en face et quels sont ses enjeux. Un ambassadeur anglais disait : “mon boulot c’est d’aider mon homologue en face à obtenir de nouvelles instructions de sa hiérarchie”.

Comment faire ? Quelques pistes :

  • adopter l’état d’esprit : vous devez leur proposer non un problème, mais une solution ; non une décision difficile, mais une décision facile ;
  • essayer de drafter un accord. Il n’est jamais trop tôt, dans une négociation, pour commencer à produire des premières versions de l’accord, c’est une grande aide pour clarifier les pensées de chacun ;
  • simplifier leur décision : il est plus simple de ne pas faire quelque chose que d’arrêter une action en cours et c’est plus simple d’arrêter une action en cours que d’en commencer une nouvelle ;
  • chercher les déclarations qu’a pu faire l’autre partie pour vous en inspirer pour l’accord. Il faut que cet accord remplisse ses standards en termes de justice, de légalité, d’honneur, etc.
  • considérer comment l’autre pourrait être critiqué pour avoir pris cette décision ;
  • tester la proposition “yesable”, celle qui est écrite de telle sorte que la personne en face n’a qu’à dire oui pour que l’accord ait lieu et qu’il soit suffisant, réaliste et opérationnel.

Pour conclure cette partie, il faut avoir en tête que “dans une situation complexe, l’invention créative est une absolue nécessité.”

4/ Insister sur l’utilisation de critères objectifs

Toutes ces bonnes paroles n’effacent cependant pas le fait que dans une négociation, il y a quasiment toujours des intérêts conflictuels. Vous voulez que votre loyer soit bas, votre loueur veut qu’il soit haut.

Or, dans la gestion des intérêts contradictoires, décider sur la base de la volonté est coûteux. Traditionnellement, on aborde ces situations avec des prises de position. On discute de ce qui est acceptable ou non. On l’a vu, cette façon de faire n’est pas fonctionnelle. La solution, c’est de ne pas s’appuyer sur la bonne volonté ou le désir de chaque partie, mais de négocier sur une base indépendante de la volonté des parties, c’est-à-dire sur la base de critères objectifs.

Vous avez acheté une maison sur plan et le promoteur vous annonce qu’il a fait évoluer le projet et qu’il suggère que les fondations de la maison soient de 50 cm. Vous pensez que 50 cm, ça fait un peu juste pour une maison de 2 étages. Pour vous, a priori, ça devrait plutôt être 2 mètres. Il dit qu’il a été sympa et qu’il vous a arrangé sur la peinture des volets, à votre tour de faire un geste… On est d’accord, personne ne dirait ok ? Tout le monde dirait : ça vaut le coup de se renseigner sur les normes, ce que sont les fondations des autres maisons, les risques sismiques, etc.

Ce qui est vrai pour les fondations de votre maison l’est pour tout type d’accord. Pour faire court, il s’agit de s’engager à atteindre une solution basée sur des principes et non sous la pression. Il s’agit d’être ouvert à la raison mais fermé aux menaces.

De plus, l’utilisation de critères objectifs solidifie l’accord. Plus on apporte d’éléments scientifiques, de normes d’efficience ou de standards éthiques, plus on a de chance de produire un accord final qui soit juste et raisonnable. Plus on se réfère aux précédents ou à ce qui se fait par ailleurs, plus on bénéficie de cette expérience accumulée. Enfin un accord cohérent avec la jurisprudence est beaucoup moins sujet aux attaques.

Comment développer des critères objectifs

Choisir une norme équitable. Si vous cherchez à évaluer la valeur de votre voiture après un accident dans le cadre d’une négociation avec l’assurance, différentes méthodes peuvent exister : le coût d’achat moins la dépréciation, le prix de marché de la voiture, le prix standard à l’argus pour le modèle et l’année, le coût de remplacer la voiture par une autre ou encore ce que dirait un tribunal de la voiture. Alors, quelle est la bonne norme ? Il n’existe pas de réponse toute faite, mais une indication : la fixation du prix doit être indépendante de la volonté de chaque partie, elle doit aussi légitimement être légitime et pratique.

Choisir une procédure équitable. On peut trouver des standards équitables qui permettent de traiter le fond de la question (la substance), ou on peut chercher une procédure équitable sur laquelle on se met d’abord et qui permet de résoudre la divergence d’intérêt. L’exemple le plus simple, lorsque deux enfants doivent se séparer un gâteau : l’un coupe, l’autre choisit en premier.

Lors de la négociation sur les Lois de la Mer, une des négociations les plus complexes qui aient eu lieu, la question de comment allouer les sites de minage dans les fonds marins a failli bloquer le processus. Un draft de l’accord proposait que la moitié des fonds aillent aux compagnies privées, l’autre à l’Entreprise, une organisation chapeautée par les Nations Unies. Problème : les pays pauvres craignaient que l’Entreprise ne se fasse avoir par les compagnies privées, car celles-ci étaient beaucoup plus compétentes pour évaluer la valeur des sites. Finalement, les parties ont trouvé une procédure qui a permis de résoudre ce problème et d’aboutir à un accord : une entreprise privée cherchant des sites doit obligatoirement en proposer deux à l’Entreprise, qui peut choisir un site pour elle et accorder une licence à la compagnie pour le second.

Négocier avec des critères objectifs

Cadrer chaque échange comme une recherche conjointe des critères objectifs. Lorsque vous négociez le prix d’une maison à acheter, vous pouvez démarrer ainsi : “Ok, je souhaite le prix le plus bas, vous le prix le plus haut. Cherchons ce que serait un prix juste. Quels seraient pour vous les standards objectifs pour évaluer la maison ?”. Si l’autre partie vous donne directement un prix, demandez “Quelle est votre théorie ?” et traitez le problème comme si vous étiez tous les deux en train de chercher le bon critère. Il s’agit, dans tous les cas, de chercher à d’abord se mettre d’accord sur des standards qui permettront ensuite d’évaluer conjointement les propositions.

Raisonner et être ouvert à la raison. Il s’agit globalement, comme évoqué, de se comporter non comme un avocat mais comme un juge. Certes, une des parties vous tient plus à cœur (la vôtre !), mais, pour parvenir à un accord, vous devez néanmoins vous comporter d’une façon juste en considérant les arguments des deux parties.

Ne jamais céder à la pression. Celle-ci peut prendre différentes formes : un pot de vin, une menace, un appel manipulatoire à la confiance… Dans tous les cas, la réponse doit être la même : inviter l’autre partie à expliciter son raisonnement, proposer des critères objectifs et refuser de bouger autrement que sur cette base. On ne se soumet pas à la pression, seulement aux principes.

Pour conclure cette partie, on peut considérer que les principes objectifs sont votre partenaire têtu qui vous protégera de la pression.

Et si la négociation ne fonctionne pas ?

Comment se prémunir d’une négociation qui ne tournerait pas à son avantage ? On pense souvent qu’il est de bon ton d’arriver à une négociation avec une bottom line, une ligne rouge, un prix en dessous duquel on ne descendra pas. Or, cette approche n’est pas la bonne, pour différentes raisons. Tout d’abord la bottom line pensée en amont de la négociation ne tient, par définition, pas compte de ce que vous allez apprendre durant la négociation. Elle bridera de plus votre imagination. Si vous souhaitez vendre votre maison, vous avez par exemple défini à 300 K € votre bottom line. Mais que faire si l’acheteur vous offre 280 et la jouissance du garage pendant 5 ans ? Une bottom line vous empêche de voir les solutions créatives car elle est trop rigide. Enfin, on la fixe souvent beaucoup trop haute. Lors de la conversation avec votre famille, vous dites : “Bon, on ne descendra pas à moins de 250 !”, votre fille : “Attends, c’est notre maison quand même ! 280 !”, votre fils : “Quoi ! elle vaut au moins 300, les voisins ont eu 400 pour la leur !”.

Alors que faire ? Il faut arriver à la négociation en connaissant sa BATNA : best alternative to a negotiated agreement, la meilleure alternative à un accord négocié.

Lorsque vous vendez votre maison, la question à se poser n’est pas quel prix vous pensez mériter pour le bien, mais qu’est-ce qu’il se passerait vous ne parveniez pas à la vendre. Peut-être pourriez-vous la louer ? La prêter contre des travaux ? Quelle est votre meilleure alternative ? Et comment pouvez-vous la comparer à la meilleure offre reçue ? Votre BATNA sera toujours plus dans votre intérêt que n’importe quelle bottom line.

Meilleure est votre BATNA, plus grand est votre pouvoir. Lorsque le touriste négocie pour acheter un vase, son pouvoir d’achat peut être un frein à sa capacité à acheter le vase pas cher. En revanche, connaitre le prix auquel il pourrait acheter un autre vase équivalent peut lui donner du pouvoir de négociation.

Il s’agit donc, en amont d’une négociation, de travailler sa BATNA. Listez largement ce que vous pourriez faire si la négociation échouait, sélectionnez des idées, améliorez-les, transformez-les en alternatives pratiques et sélectionnez celle qui est la meilleure. C’est votre BATNA.

Récapitulatif : 4 principes pour des accords raisonnables

Cette approche des relations humaines proposée par la négociation raisonnée me parait enthousiasmante. Dans un monde qui se tend, où les situations conflictuelles vont se multiplier, il est essentiel de savoir aborder les différends avec calme et méthode.

La négociation raisonnée permet de produire des accords raisonnables, de façon efficiente, tout en préservant la relation entre les parties impliquées. Ses quatre principes :

  1. Séparer la personne du problème. C’est ce leader syndical qui découvre que la grève lancée par son collègue est basée sur une incompréhension, il pensait que le contremaître se moquait de lui alors qu’il pensait le valoriser. Lors d’une négociation, on n’est pas en opposition à la personne mais à côté d’elle en train de résoudre un problème.
  2. Se concentrer sur les intérêts et non les prises de position. Ce sont les Israeliens et les Egyptien qui parviennent à un accord à Camp David qui respecte les intérêts de chacun, en rendant le Sinaï à l’Egypte à condition qu’il soit démilitarisé. Une négociation réussie nécessite à la fois d’être ferme sur ses intérêts et ouvert sur les solutions possibles.
  3. Générer une variété de possibilités avant de prendre une décision. C’est ce manager d’une raffinerie qui, face à une menace de hausse des taxes identifie son intérêt commun avec la municipalité et invente des options : remise d’impôts pour les nouvelles industries, ou campagne de com pour faire venir de nouveaux business… “Dans une situation complexe, l’invention créative est une absolue nécessité.”
  4. Insister sur le fait que le résultat soit fondé sur des critères objectifs. C’est ce promoteur qui vous propose des fondations de 50 cm au lieu de 2 mètres parce qu’il vous a fait une fleur avant. Vous ne dites pas ok sans chercher les normes et les bonnes pratiques ! Les principes objectifs sont votre partenaire têtu qui vous protégera de la pression

Pourquoi cette synthèse ? Car il s’agit de mieux négocier pour réussir à vivre ensemble

En guise de conclusion, un mot des raisons qui m’ont poussées à rédiger cette synthèse.

Je suis donc facilitateur. Mon métier consiste à aider des collectifs à coopérer. Peu importe le sujet. Si j’ai une expertise, c’est (modestement !) les relations entre les gens, les dynamiques de groupe, les méthodes pour résoudre les problèmes.

Je crois sincèrement que mon métier est utile. C’est parfois moins évident que lorsqu’on construit quelque chose de plus visible que des interactions, mais dans une période où tout semble se tendre alors même que les difficultés ne vont aller qu’en s’accroissant, les collectifs ont plus que jamais besoin de méthodes qui leur permettent d’avancer ensemble dans leurs difficultés.

Or la question de comment traiter les divergences d’intérêts dans une situation donnée est récurrente et va devenir de plus en plus fréquente. Deux personnes qui ont des visions antagonistes d’une situation et qui pourtant, doivent coopérer au sein d’un collectif. Deux équipes autonomes qui doivent s’entendre pour décider de leurs champs d’action respectifs lorsque la hiérarchie ne tranche pas. Deux organisations tenues de se mettre d’accord sur la façon de gérer une ressource commune qui se raréfie.

La négociation m’a toujours fasciné. Les grands sommets internationaux, les enjeux planétaires, la paix dans le monde… J’ai donc lu il y a deux ans ce livre : Getting to Yes. Un classique du sujet. Il m’a beaucoup plu et je m’étais promis d’en faire une synthèse partageable.

Trois points en particulier m’ont motivé à proposer cet article :

J’ai retrouvé dans cette approche de la négociation de nombreux liens avec ma pratique quotidienne de la facilitation. Donner une importance forte aux personnes, à leurs émotions, afin de produire ensemble plus efficacement. Intégrer les perceptions subjectives et se centrer sur ce qui compte vraiment : les intérêts en jeu. Pratiquer la divergence, faire émerger beaucoup d’idées, avant de choisir quelle sera la meilleure. J’ai été étonné mais aussi rassuré de constater que ce que décrivent Roger Fisher et William Ury fait écho à la facilitation (mais aussi à la communication non violente). Ce qui m’amène au deuxième point.

C’est ma passion pour les méthodes qui m’a conduit à plonger dans ce livre. Entendu qu’il existe de “bonnes” façons de faire des choses ensemble, encore faut-il, pour les entrevoir, décaler son regard du sujet pour se centrer sur la question du comment. C’est à mon sens un des leviers les plus importants pour nourrir sa puissance d’agir dans un monde instable et inquiétant : se demander moins quoi faire que développer des compétences autour du comment faire ensemble.

Enfin, je vois dans cette approche pragmatique des relations humaines une proposition forte autour du pari de vivre ensemble. Il s’agit de considérer sans angélisme (car il existe des intérêts, des rapports de force) qu’il est possible de mieux faire pour traiter nos conflits. On pourrait même se dire que vivre en commun sur cette planète, à tous les échelons dans lesquels nous sommes imbriqués (de nos relations intimes à la politique internationale) est finalement une grande partie de notre job, en tant qu’homo sapiens.

Devenons donc toutes et tous meilleurs en négociation !