Ce genre de livre qui vous fait voir votre métier autrement…
Écrit par 2 facilitateurs rompus aux méthodes de Matt et Gail Taylor, c’est un guide concret sur l’art de la “Présence” : la partie du job de facilitateur·rice qui se passe devant des gens (par opposition au travail de Design, en chambre – pour reprendre la distinction de Philippe Labat, dans son livre “Développer l’intelligence collective”).
En tant que facilitateur, la lecture du livre est à la fois passionnante et… intimidante : on y voit nos auteurs animer des sessions de plus 100 personnes au Forum Économique Mondial, accompagner la refonte du système de soin américain ou encore faire accoucher des groupes immenses de plans stratégiques. Le tout, avec une approche originale, créative et authentique ! C’est toujours bon de savoir qu’on a des marges de progression 😅.
J’en retiens en particulier 2 choses qui m’ont touchées :
1/ Le·la facilitateur·rice en “story-teller”
Réunir 100 personnes dans une salle pour aborder un sujet stratégique a moins pour but de trouver LA solution que de faire avancer le groupe dans la complexité du sujet. Il s’agit d’aider les gens à avoir “de nouvelles conversations à propos de vieux problèmes”. Or, pour parvenir à cela, 2 choses sont nécessaires : un nouveau point de vue et un nouveau langage.
Comment les créer ?
Lors d’une séquence avec Google, au moment du lancement des outils de bureautique en ligne, le facilitateur a raconté, au démarrage de la session, son rapport au sport. Toute sa jeunesse, il a joué au baseball (qu’il préférait) et au tennis (qui était le sport populaire là où il habitait). De façon absurde et contre l’avis de ses coachs (qui chacun le pressait de choisir leur sport), il a continué des années à pratiquer les deux. Les googlers dans la salle étaient là eux aussi pour traiter un problème de “choix” : comment pousser les utilisateurs à délaisser le paradigme qu’ils préféraient (avoir mon traitement de texte en local) pour le nouveau (le traitement de texte sur mon navigateur).
L’histoire, ici, a pour rôle d’emmener les participants aussi loin que possible de leur sujet, justement pour leur offrir un nouveau point de vue et leur permettre d’utiliser un langage métaphorique qui les “maintient” sur leur problème et leur offre des perspectives inaccessibles autrement.
Les conseils concrets : ne pas abuser des histoires très décalées. Elles sont là pour l’ouverture ou pour apporter un changement fort de regard ou d’énergie. Ne jamais les expliquer. C’est un objet que les participants peuvent (ou pas) utiliser. Ne pas les préparer en amont mais les laisser venir au dernier moment (le matin même, sous la douche !).
2/ Le·la facilitateur·rice en perturbateur
Quand un groupe assez nombreux échange sur un sujet, la conversation suit toujours une même dynamique. Elle démarre fort, pleine de l’excitation autour de l’enjeu et des convictions de chacun·e. L’énergie augmente naturellement. Le rôle du facilitateur est alors de ne rien faire, sinon de lever ce qui peut empêcher le groupe de continuer à partager. Mais, à un moment, les contributions apportent de moins en moins, l’énergie commence à décliner. C’est là que le facilitateur doit intervenir.
Comment ?
En faisant basculer la conversation vers un “niveau de récursion supérieur” : en ouvrant le sujet ou en montant d’un niveau d’abstraction.
Lors d’une conversation autour du sujet de différentes unités d’innovation au sein d’un grand groupe dont le fonctionnement n’était pas clair pour le reste de l’organisation, les échanges semblaient stagner autour de 2 questions : qu’est-ce que les unités doivent être (quelles doivent être leur taille, leur autonomie, leur mandat) et qu’est-ce qu’elle doivent faire (activités, interactions). Le facilitateur a alors posé cette question : “quel est selon vous le lien entre ce qu’une unité est et ce qu’elle fait ? Quel est le lien entre “être” et “faire” ?”.
Cette question philosophique n’a évidement pas trouvé de réponse en tant que telle, mais elle a permis au collectif de regarder autrement le problème et de générer des idées riches et, in fine, plus largement applicables.
Conclusion : les interventions du facilitateur·rice
Finalement, j’ai trouvé ce livre riche et instructif en particulier en ce qui concerne la posture du facilitateur·rice. Loin de l’idée d’une neutralité pure ou d’une posture uniquement “basse”, Brandon et Klein montre comment, dans les 2 cas, le·la facilitateur·rice rend les choses faciles en se mettant en travers du chemin du groupe. Il est comme “le rocher affleurant dans la rivière, créant des tourbillons, des courants contraires et des rapides tout en offrant en même temps une marche pour qui veut traverser la rivière”. Par ses histoires, ses questions, ses décadrages, bref, par des interventions stratégiques et sensibles, il créé une réalité différente qui permet au collectif d’avancer sur son problème !