La Gestion par Consentement : une autre façon de prendre des décisions

Construire, à plusieurs, une décision robuste et enthousiasmante : une gageure ?

C’était une équipe de direction d’une boîte de l’ESS. Un séminaire au vert. 2 jours pour discuter de la stratégie de la boîte, faire des choix structurants sur les axes de développement. Mais aussi, une demande, plus difficile celle-là : est-ce qu’il ne serait pas temps de revoir la formulation de la mission de l’entreprise ? 

Mon problème, en tant que facilitateur : ce n’est pas le genre de décision qui peut se prendre à qui parle le plus fort… Comment faire pour trouver un processus qui les fasse réfléchir, cheminer collectivement, qui aboutisse à une production enthousiasmante et… qui les engage tous… ?

Pas facile.

Heureusement, je me suis souvenu d’un outil merveilleux, découvert lors d’un séminaire EPIGO, grâce à Hum Hum Hum : la Gestion par Consentement.

 

La Gestion par Consentement : un renversement de logique au service de la coopération efficace

Décider à plusieurs est une des grandes affaires de nos sociétés démocratiques. Nous avons d’ailleurs (à tort) associé la démocratie au vote. En tant que praticien de la coopération, si notre métier ne se résume pas à la question de la décision, c’est quand même un sujet clé. On peut distinguer, pour être schématique, 3 modes de décisions “classiques” :

  • Les modes de décisions rapides : l’autocratie ou le vote. Avantage, donc : ça va vite ! Ce qui n’est pas rien… Leurs inconvénients : tout d’abord, on n’est pas sûr de la qualité de la décision (des autocrates incompétents… ça existe ! qui plus est face à des questions complexes, il est rare qu’une seule personne soit en mesure de proposer une réponse pertinente). Ensuite, la mise en œuvre est loin d’être facilitée par ces modes de décision. On dit souvent qu’une majorité à 51 %, c’est 49 % de personnes qui n’étaient pas pour la décision et qu’il reste à convaincre…
 
  • Si on a le temps, on peut aller chercher, sur un sujet donné, un consensus. Cela a de grande vertus : le collectif concerné est soudé derrière la décision, plus de problèmes d’engagement dans la mise en œuvre… c’est super ! Seuls problèmes : ça peut prendre beaucoup de temps et, à demander à chacun son avis, on finit souvent sur une décision a minima, l’intersection des différentes volontés des uns et des autres.
 

C’est là qu’intervient la Gestion Par Consentement (GPC), issue de la sociocratie. Pour schématiser, si le consensus consiste à faire en sorte que tout le monde soit 100 % d’accord, le consentement, c’est un processus qui permet de s’assurer que plus personne n’est en désaccord avec la décision. Un renversement de logique !

Grâce à une méthode assez précise et à un engagement en temps, cela permet d’aboutir à une décision robuste qui embarque effectivement tous les participants.

Animer une décision avec la Gestion par consentement

Infos pratiques

La séquence

Le descriptif méthodologique est directement inspiré de la méthode proposée par Hum Hum Hum la coopérative issue de l’Université du Nous, sur leur page de ressources. La fiche d’aide détaillée en pdf est ici.

  1. Un sous-groupe du collectif accompagné est désigné pour travailler sur la proposition (entre 1 et 3 personnes). Ce sont les proposeur·ses. Dans un premier temps, on procède à une “écoute du centre” : chacun s’exprime sur le fond du sujet traité, les proposeur·ses sont tout ouïes.
  2. Ensuite, les proposeur·ses s’isolent et travaillent à la rédaction d’une première version de la proposition qui sera soumise à décision (dans mon exemple, une première formulation de la mission). Celle-ci est ensuite présentée au groupe. Il s’agit à ce stade de faire simple, sans chercher la perfection. C’est le processus qui améliorera la proposition.
  3. On opère maintenant un tour de clarification. Le reste du groupe peut poser des questions de clarification (ouvertes) pour s’assurer de bien comprendre. Il ne s’agit pas de réagir à la proposition, mais de s’assurer qu’il n’y a pas d’ambiguïté.
  4. Séquence suivante, on fait un tour de ressentis. Chacun·e est amené à s’exprimer sur ce que la proposition lui évoque. Les proposeur·ses écoutent et accueillent les remarques, ils prennent des notes.
  5. Les proposeur·ses peuvent, sur la base de ce qui a été dit, clarifier, amender ou retirer la proposition. En cas de retrait, on reprend à 0.
  6. Si la proposition est maintenue, c’est le temps de récolte des objections. Il est important de bien préciser au groupe ce qu’est une objection recevable : une proposition concrète, argumentée, précise, qui pointe un risque pour le collectif, et non une préférence, un avis ou une critique de la personne. Pour citer Laurent Burget de Hum Hum Hum : “l’objection n’est pas un contre ou une opposition, plutôt un « avec » sincère et profond, un cadeau argumenté au service du groupe pour éviter un risque avéré”. On fait un tour : y a-t-il des objections ? Si non, aller directement à l’étape célébration. Si oui, les objections sont écoutées et traitées une par une. On note l’objection (et non sa solution à ce stade) et le prénom de la personne.
  7. Pour chaque objection, on questionne le groupe pour trouver des solutions. On s’assure régulièrement auprès de la personne qui a posé l’objection de savoir si les solutions la lève. On procède ainsi jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’objection.
  8. Enfin, une fois que toutes les objections sont levées, il est temps de célébrer ! Au groupe de définir la façon, mais il est important de marquer l’accomplissement et de saluer l’effort collectif !

Les bénéfices

Dans mon exemple, le processus de décision a pris… 5 heures ! Mais l’équipe en est sortie ravie ! La nouvelle mission était trouvée, tout le monde était à fonds (comme raconté ici). 

Bénéfice secondaire : la logique de consentement était intégrée par l’équipe qui la réutilise régulièrement en Comité de Direction…

 

➡️La gestion par Consentement permet donc d’aboutir à une décision ambitieuse, robuste (on a “tapé” dessus pendant un long moment) et qui embarque tout le monde (c’est un processus où chacun s’investit). 

C’est une méthode essentielle car elle crédibilise fortement les pratiques coopératives. Elle montre qu’avec de la méthode, on peut faire mieux que l’autocratie ou le vote et éviter les pièges des discussions sans fin : de la coopération puissante et efficace !