C’est à la fois le rêve des managers ou dirigeants, qui aimeraient bien pouvoir déléguer davantage, porter moins de charge mentale de l’organisation, se concentrer sur leurs sujets de prédilection. Et… une perspective intéressante pour les équipes, qui aimeraient bien avoir du leste, jouir de plus de liberté, de prise d’initiative.
En réalité, il y a souvent comme une contradiction dans les termes. On a tendance à vouloir « favoriser » l’autonomie : cela révèle une posture en surplomb qui ne permet pas l’autonomie. On tombe dans l’injonction paradoxale : soit (autonome) ce que tu n’es pas (puisque je suis obligé de te le dire).
Et cela donne lieu à un certain nombre de frustrations :
- Le premier écueil, c’est de vouloir garder le contrôle et qu’il ne se passe rien : malgré la bonne volonté et l’invitation à la prise d’initiative, rien ne se passe. « Mes équipes ne prennent pas le lead, ils sont frileux, il y a bien Martine dans l’équipe qui bouge, mais les autres, ils attendent que je leur dise quoi faire ».
- L’autre écueil, c’est de laisser beaucoup de latitude à son équipe, et d’assumer les responsabilités de leurs décisions. Par exemple, je dois en tant que manager rendre des comptes sur des indicateurs de performance, mais je ne prends pas de décisions auprès de mes équipes qui soit « cadrante ». Je dois alors assumer auprès de mes propres supérieurs ce dont je ne décide pas vraiment. Alors la liberté dont l’équipe jouit peut donner l’impression que « cela part dans tous les sens ».
Dans les deux cas, le pouvoir et la responsabilité ne sont pas alignés de manière adéquate, dans un cas je garde trop de pouvoir, dans l’autre j’en laisse trop, sans déléguer aussi la responsabilité associée.
Oui mais alors par quel bout on prend le problème ? Si ça vient du « haut » de la pyramide il n’y a pas assez d’autonomie, et si ça vient du « bas » de la pyramide, le dirigeant perd le fil.
Plutôt que de favoriser l’autonomie, la proposition c’est de créer les conditions de l’autonomie.
Ça veut dire partir des besoins des équipes, partir de la situation réelle et non de la situation rêvée par le-la boss, être capable d’entendre et de renoncer à ses fantasmes, être prêt à ce que les équipes aient des demandes autres que gérer ce dont je rêve de me débarrasser (à l’extrême).
Quelques étapes peuvent aider à amorcer cette transition organisationnelle et culturelle.
1. D’abord, définir ce dont on parle: qu’est-ce que le « management horizontal » ?
Le risque, c’est de penser qu’on parle de la même chose, alors que l’horizontalité est devenue presque un mot valise, et donc le véhicule de nombreuses représentations floues qui peuvent prêter à confusion.
Pour clarifier différents modèles d’organisation, une source d’inspiration qui fait aujourd’hui école : Reinventing organization écrit par Frédéric Laloux (une petite synthèse
ici) : c’est une vaste enquête sur les modèles d’organisation dans les entreprises avec enquêtes et exemples à l’appui de structures qui pratiquent l’autonomie de manière très avancée – exemple Patagonia. Il s’est lui-même inspiré de la
Spirale dynamique conçue dans les années 1950 par le professeur Clare W. Grave qui développe et illustre les différents modèles organisationnels créés en interdépendance avec les environnements dans lesquels nous vivons. Laloux illustre et donne à voir des perspectives inspirantes de modèles organisationnels basés sur l’autonomie, le « self-management », permettant l’expression de la singularité de chacun : le modèle Opale.
Le livre est une fantastique opportunité d’élargir ses horizons de perception de nos organisations et
d’acquérir des clefs de lecture très utiles pour amorcer ces changements. C’est l’occasion d’un premier pas de prise de conscience, et de mettre des mots sur la culture organisationnelle que l’on souhaite, le style de leadership associé, et les implications potentielles à tout niveau dans l’entreprise.
2. Puis, clarifier le niveau ou la profondeur de l’autonomie souhaitée
Chaque organisation peut souhaiter mettre en place davantage d’autonomie avec un niveau de « profondeur » impliquant l’organisation : une équipe ? une business unit ? Le CODIR ? Toute l’entreprise ?
Les questions que l’on peut se poser pour le définir sont engageantes à plusieurs niveaux. À quel point je revisite mon organisation, à quelle échelle ? Est-ce que culturellement et du point de vue du business model, la vision organisationnelle horizontale est adaptée ? Autrement dit, est-ce que cela a du sens, avec cette activité et les personnes de mon équipe ?
3. Ensuite clarifier le terrain de jeu
Quand on se lance dans du « plus d’autonomie », en général, on commence par tester sur un champs d’exploration, plutôt que de tout chambouler d’un coup. L’idée, c’est de clarifier la part d’initiative possible pour démarrer.
Quel est le périmètre du « bac à sable » proposé ? Est-ce que je laisse de la liberté sur la manière de travailler sur un livrable ? Sur le livrable lui-même ? Sur les projets sur lesquels chacun travail ? Sur les objectifs ? Sur les salaires ?
4. Viennent alors le temps de l’expérimentation et de l’apprentissage
S’il s’agit d’aller pas à pas et d’avancer vers une organisation ou une équipe qui laisse la place à l’autonomie, alors cela suppose d’essayer, et d’apprendre. Chaque organisation diffère – ce qui peut marcher dans une entreprise peut ne pas fonctionner dans une autre.
On cherche donc à définir l’expérience dans le temps pour tester, ajuster au fur et à mesure. L’idée, c’est de se donner un temps limité où on expérimente avec des indicateurs de succès ou d’échec déterminés en amont, et à la fin de la période, on fait le bilan, on voit ce qu’on garde, ce qu’on étend.
5. La règle d’or : aligner le pouvoir de décider et la responsabilité
Enfin une règle d’or dans l’évolution de l’autonomie : aligner les capacités de prise de décision avec les responsabilités que l’équipe va prendre. L’enjeu, c’est de savoir de quoi je peux décider, et si j’ai la capacité de rendre des comptes de manière adéquate : c’est une des conditions clef de la prise d’autonomie, qui permet l’accroissement de la prise d’initiative ! Cela suppose bien sûr d’avoir les compétences pour décider et de pouvoir assumer les responsabilités associées.
Conclusion : créer de l’autonomie, plus qu’une décision, c’est une évolution vivante de l’organisation
Développer l’autonomie des personnes dans une équipe, c’est favoriser le développement individuel et collectif, la prise de risque, et le développement professionnel. En somme c’est ce qui permet de rendre un organisme vivant, durablement !
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