Les mains moites
Je me souviens de mon premier atelier. Un ami, fondateur d’une boîte, m’avait proposé d’animer une séquence de réflexion avec son équipe. Ils souhaitaient lancer un nouveau produit. L’atelier devait se dérouler sur une matinée dans leur locaux au sein d’un coworking dans le XIXème arrondissement, à Paris. L’avant veille, j’avais appelé une facilitatrice expérimentée. Je sortais juste d’une formation avec elle, sur la méthode Creative Problem Solving. Nous avons échangé 30 minutes. En réalité, je lui ai exposé la situation, puis elle a conçu ma séquence, à la volée. J’ai compris pas mal de choses à ce moment-là. Par exemple qu’il ne s’agissait pas d’appliquer une méthode de A à Z, mais plutôt de repartir du problème et de faire des choix réalistes sur ce qu’il était possible d’atteindre dans le temps donné.
Le matin de l’atelier arrive. Dans le tramway, j’ai les mains moites. Je les rejoins, dans leurs locaux. Chacun est occupé à quelque chose, derrière son ordi. J’installe mon matériel. Je réfléchis à ce que je vais dire, à mon déroulé. Ça tourne pas mal dans ma tête : mon intro, les séquences qui vont suivre, je répète, je répète. Ils se réunissent enfin, on démarre. Je prends la parole, je me présente. Je donne la première consigne. Est-ce suffisamment clair ?
Nous sommes 8 ans plus tard. Après ce premier atelier, j’ai eu la chance d’animer de nombreuses séquences collectives : réunions, ateliers en ligne, formations, séminaires de dirigeants, séminaires avec 100 personnes… Au fur et à mesure du parcours, par la pratique, les lectures, les échanges, j’ai progressé, je me suis affirmé. Naturellement, au long de ce chemin, j’ai aussi oublié. Oublié ce que c’était de se lancer, de se présenter pour la première fois face à un groupe, les palpitations, oublié les nœuds au cerveau de mes premiers déroulés, oublié aussi mes questions d’alors, mes doutes, mes rêves.
Je suis récemment revenu à ces réflexions et à ces sensations dans le cadre de la formation que l’on donne avec le CNAM ou via des échanges avec des personnes qui souhaitent se lancer. Je suis en effet très régulièrement amené à répondre à cette question : comment se lancer dans la facilitation ?
Comment s’orienter quand on se lance dans le territoire du collaboratif ?
Je tente ici un exercice : synthétiser en 6 blocs les différents éléments qui, je crois, m’auraient été utiles au moment de me lancer.
Les blocs :
- Éprouver : la facilitation est-elle faite pour moi ?
- Lire, regarder : développer une culture de la facilitation.
- Se former : faciliter, ça s’apprend !
- Pratiquer : c’est en forgeant qu’on devient forgeron.
- Se situer : quelle facilitation je souhaite proposer ?
- Progresser : faciliter, ça peut être l’œuvre d’une vie !
Mon intention est que ces éléments soient utiles à celles et ceux qui souhaitent devenir facilitateur·rice ou qui cherchent à développer cette pratique de façon ambitieuse.
Depuis mes débuts en 2015, de nombreuses ressources ont été mises à disposition. Mes recherches m’ont aussi amené à découvrir des approches plus anciennes, parfois assez confidentielles, mais que j’ai trouvé extrêmement pertinentes. Le problème aujourd’hui est peut-être inverse de celui qu’il était il y a 10 ans : trop de contenus et une difficulté à s’orienter.
Dans cet article, je tente de situer des temporalités, des thèmes, des étapes possibles afin de s’orienter au démarrage de sa pratique. Aucune prétention à la Vérité, juste une proposition, la plus concrète et illustrée possible. Par quoi commencer ? Quels sont les premiers pas ? Comment se repérer dans la masse des contenus ? Il s’agit d’une proposition qui ne doit pas être vue comme un guide pas à pas, mais plutôt comme un ensemble de blocs modulaires, qui peuvent vous parler, ou non, selon le moment dans lequel vous êtes.
On y va ?
1. Éprouver : la facilitation est-elle faite pour moi ?
La facilitation est un métier particulier. La définition qui fait consensus est la suivante : il s’agit de se mettre au service d’un collectif, afin de l’aider, durant une séance de travail, à atteindre ses objectifs, en se centrant sur le cadre, le climat, le groupe et la méthode et sans intervenir sur le fond. Si on trouve autant de pratiques de la facilitation que de facilitateur·rices, il reste un point qui me semble commun à toutes celles et ceux avec qui j’ai pu échanger : la tension qui existe dans la posture.
D’un côté, faciliter, c’est se tenir devant un groupe. Prendre la parole, être écouté, (pro)poser un cadre de travail. Il faut qu’on vous voit. Il faut qu’on vous écoute. De même pour le travail en amont de l’atelier, avec son client ou sa cliente : il faut expliquer, convaincre, s’affirmer. Faciliter, c’est être en position haute sur le cadre.
Mais vous n’êtes pas le personnage principal du spectacle qui se joue. Les vrais acteur·rices, ce sont les membres du groupe. Et donc il faut se taire. Écouter, faire de la place, mettre en valeur (“we give people a chance to listen to each other and to feel that they were listened to” disent Klein et Newman dans Facilitating Collaboration). Ressentir l’énergie, les émotions. Intégrer que nous ne sommes qu’un moyen pour que le groupe parvienne à ses fins. Faciliter, c’est être en position basse sur le contenu.
Alors, comment savoir si la facilitation est faite pour vous ?
Avant de se lancer dans une formation, un changement de carrière, il est bon de regarder son parcours, ses motivations, pour toucher du doigt la pertinence et la justesse, pour soi, de cette posture.
Quand je regarde mon parcours avant d’arriver à la facilitation, certains éléments font étrangement sens rétrospectivement. J’ai pratiqué quelques années le théâtre d’impro. J’étais à l’aise et je me sentais extrêmement nourri par les exercices. Mais je n’ai jamais voulu monter sur scène. Par peur et par gêne. Je ne voulais pas me mettre en avant, je trouvais ça… déplacé. Autre point : lorsque j’ai démarré ma vie professionnelle, j’ai assez vite détesté les réunions. Je trouvais qu’on perdait du temps, que ça n’était ni amusant, ni productif. Dernier point : je me suis toujours senti à l’aise à être légèrement décalé dans mon appartenance à un groupe. J’étais souvent ok pour être le “maître du jeu” au loup-garou. Étrangement, tout cela, rétrospectivement, m’apparait comme assez cohérent avec la posture de facilitateur !
Les questions à se poser :
- Est-ce que j’ai du plaisir à être devant des gens ?
- Est-ce que je suis ok pour ne pas appartenir au groupe ?
- Est-ce que je m’intéresse aux modalités, à comment on pourrait mieux travailler ensemble ?
- Est-ce que je m’intéresse à ma subjectivité et à celle des autres, est-ce que j’aime regarder les situations, non en cherchant la vérité, mais en cumulant les points de vue ?
- Est-ce que j’aime écouter, poser des questions ?
- Est-ce que je suis ok à l’idée de donner du temps et de l’énergie à un projet que je ne verrai plus ensuite, que je ne mènerai pas au bout ?
Autre question clé : quelles sont les expériences où, comme M. Jourdain, vous avez facilité sans le savoir ? Qu’avez-vous ressenti dans cette posture ? Quels sont les retours qu’on vous a faits ?
2. Lire, regarder : développer une culture de la facilitation
Une façon assez simple d’entrer, rapidement, et à moindre frais, dans l’univers de la facilitation, est de se plonger dans les contenus disponibles sur le sujet. Ils sont aujourd’hui très nombreux, je partage ceux qui m’ont le plus marqué et fait gagner du temps.
📚 Les livres. Je conseille en général le livre de Philippe Labat, Développer l’intelligence collective (j’en ai fait un courte présentation ici). Il est bien écrit, expose de façon précise et détaillée les différentes séquences d’une facilitation et est illustré de nombreux exemples. Seul problème : il s’adresse à mon sens à des praticiens confirmés, tant les séquences mentionnées sont ambitieuses !
Pour aller plus loin : Collaboration by design (une courte présentation ici), de Philippe Coullomb et Charles Collingwood-Boots est un manuel exhaustif qui présente la méthodologie MG Taylor (j’y reviendrai), la même que celle utilisée par Philippe Labat.
📰 Les articles.
- Un article complet sur ce qu’est le métier de facilitateur du blog Bloculus, très complet
- Un article (assez cérébral) sur la facilitation comme approche centrée sur le problème plutôt que sur la solution, commis il y a quelques années
- La newsletter de Lily Gros, qui, tous les 15 jours, vous propose des contenus riches sur la facilitation
📺 Les vidéos.
- Qu’est-ce qu’un facilitateur ?, par ma collègue Marie, commençons par la définition !
- Quelles différences entre une facilitatrice, une consultante et une manageure ?, toujours par Marie, une clarification utile
- Facilitateur externe contre facilitateur interne, par une autre collègue, Anne-Laure
- 4 profils de facilitateur·ice, par Isabel, encore une collègue
Tout cela est fort utile, je dirais même essentiel. Il est nécessaire d’avoir de la culture de la collaboration pour interagir correctement avec un groupe. Cependant, on reste encore dans la théorie. Si vous avez envie d’aller plus loin, il pourrait être intéressant de considérer une formation.
3. Se former : faciliter, ça s’apprend !
La formation est au cœur d’un paradoxe. On ne profite jamais autant d’une formation que lorsqu’on a pratiqué le sujet, qu’on a perçu ses complexités sur le terrain. Pourtant, se lancer nécessite souvent, en amont, de se former, pour avoir les outils et le courage de passer à l’action. Vous l’avez compris, il n’y a pas de moment idéal pour se former, si ce n’est celui où vous sentez que c’est nécessaire. Ce dont je suis convaincu : une formation est requise pour pouvoir se dire facilitateur·rice.
Les questions à se poser en amont du choix de sa formation :
- Qu’est-ce que je souhaite savoir, ressentir, avoir à la fin de la formation ?
- Quelle va être ma pratique cible ? Quelle est ma “mission” idéale (animer une séquence de négociation avec l’ONU suite à une crise en Afrique, faciliter le conseil des ministres, accompagner des aidants dans la résolution de leurs problèmes, accompagner une équipe de dirigeants dans la construction de leur stratégie…) ?
- Quel est l’investissement que je souhaite y mettre, en temps, en argent ? Pour quel retour ?
- Qui sont les formateurs et formatrices de la formation que je considère ? Ont-il·elles une expérience de terrain ? Ont-il·elles l’air sympa ? Compétents ?
- Est-ce que je souhaite une formation courte (1 jour ou 2 jours) ou longue (entre 5 et 10 jours) ?
- Comment vais-je pouvoir pratiquer durant la formation, pour ancrer au mieux mes apprentissages ?
- Que font les gens qui ont suivi la formation ? Qu’en disent-ils ?
- …
Je crois sincèrement que plus on arrive préparé, avec une demande claire en formation, plus on sera capable d’en profiter et d’en tirer le meilleur. Je vous incite donc à faire la liste de vos “problèmes” (j’ai du mal à tenir le timing dans mes interventions, je n’arrive pas à me vendre assez cher, je n’ai jamais conçu de séquence et ça m’intimide, j’ai eu des retours négatifs de personnes blessées lors d’un atelier…), et, pourquoi pas, de les partager avec la formatrice ou le formateur.
Je liste ici quelques formations que j’ai pu recenser, par des acteurs reconnus et sérieux que j’ai eu l’occasion de croiser :
- Imfusio propose un parcours en 6 jours, Facilit’hacker, qui intègre la facilitation à la problématique plus large de la transformation des organisations
- Codesign’it, un collectif d’indépendants spécialistes de l’innovation collaborative, propose une formation sous forme de parcours à composer soi-même, la Formation Codesign Facilitation
- Hum Hum Hum, la coopérative de l’Université du Nous propose aussi une formation à la facilitation, orientée sur les sujets de gouvernance partagée
On peut aussi citer d’autres acteurs : le Worklab, Formapart, le DU de l’Université de Cergy. Vous trouverez encore plus de références dans cet article.
Enfin, spot de pub, nous proposons avec EPIGO une formation en partenariat avec le CNAM : Les Fondamentaux de la facilitation, sur 7 jours.
De mon côté, je me suis formé, à mon arrivée à EPIGO, au Creative Problem Solving et ça a été une révélation ! En 2 jours, j’ai découvert qu’il était possible de proposer des moments à la fois fun et productifs, qu’on pouvait partir dans tous les sens et aboutir à la fin, que la coopération, avec de la méthode, ça marchait. Bref, j’ai été conquis. J’ai ensuite suivi les autres formations proposées par le cabinet EPIGO (Prédom notamment, qui m’a donné un socle hyper solide pour les questions de communication interpersonnelle) et je me suis formé sur le tas et via des lectures au lean startup.
4. Pratiquer : c’est en forgeant qu’on devient forgeron
On y vient, enfin ! Pas de mystère, la facilitation est une pratique, il s’agit donc… de pratiquer ! Le conseil numéro 1 à cette étape est de trouver un “bac à sable”, c’est à dire un endroit et des gens qui vous feront confiance pour un premier atelier. Un lieu pour vous lancer et tester la posture. Ici, je vous partage l’expérience de ma collègue Anne-Laure et de comment elle a facilité son premier atelier… dans une crèche !
“J’ai rejoint EPIGO en 2018 avec un bébé sous le bras. J’attendais avec impatience l’ouverture de la crèche parentale dans laquelle je l’avais inscrite. Cela faisait plusieurs mois (années !) qu’un collectif ultra motivé de parents s’échinait à surmonter tous les obstacles pour aboutir à cette création d’éco-crèche de quartier dans laquelle les parents doivent travailler aux côtés des professionnels. Au bout de quelques mois d’ouverture, l’enthousiasme était bien retombé. Les rancœurs faisaient surface, la fatigue et l’agacement s’invitaient dans les réunions, les passagers clandestins se révélaient. En même temps, c’est compréhensible ! Passer d’un projet écolo-bobo conçu pour le bien-être de nos chérubins à des après-midis à laver des couches lavables, la chute était raide. Et puis, derrière les “valeurs” du projet pédagogique, qui avaient été beaucoup abordées en amont, un autre sujet ne l’avait pas été du tout : le comportement attendu d’un parent membre de la crèche. Côté EPIGO j’avais été formée, un peu sommairement je dois dire, et je ne me sentais pas du tout prête à faciliter ! J’avais commencé à co-animer quelques séquences avec des collègues. Mais j’avais l’étrange sensation de ne pas comprendre ce que je faisais vraiment. J’avais l’impression d’osciller entre suivre de manière très scolaire un déroulé médiocre ou rater de manière spectaculaire des improvisions. Je manquais cruellement de pratique. Faire ses classes avec des clients d’EPIGO, qui avaient de gros enjeux et payaient pour le job, c’était délicat. Mes collègues m’ont vivement incité à me trouver un bac à sable pour expérimenter, sans pression. Ni une ni deux, ma crèche parentale s’est transformée en terrain de jeu d’apprentie facilitatrice. Devenue co-présidente de la crèche, j’ai pu tout tester. Concevoir et animer des ateliers de créativité, faire co-créer des règles du jeu, expérimenter des inclusions et des déclusions, observer et analyser les dynamiques de groupe. J’ai animé des tours de parole sans réponses sur des sujets émotionnels hautement toxiques pour le collectif. Très apprenant mais clairement ce n’était pas confortable. Avec le recul, j’aurais dû choisir un bac à sable avec moins d’enjeux pour mon identité sociale, ma vie aurait été bien moins stressante ! Quelque soit votre bac à sable, je crois que débuter en facilitation c’est faire sien l’adage anglophone : “fake it until you make it”. Pour que le groupe vous accorde sa confiance, il faut lui apparaître légitime pour tenir la posture haute sur le cadre et les modalités de coopération. Au début c’est un jeu d’acteur. Puis avec la pratique, une évidence s’installe : vous avez développé une expertise, au final modeste, mais rare et précieuse : faire coopérer un groupe pour produire un résultat.”
A ce stade, un point que je partage : ça fait toujours assez peur la première fois ! Pour vous aider, une petite vidéo de votre serviteur : Comment faciliter mon premier atelier ? 7 points pour ne pas se rater !
Comment savoir si mon bac à sable est un bon bac à sable ? Quelques pistes :
- trouver une zone “safe to fail”, où c’est ok de se planter ;
- avoir un confort émotionnel, un lien avec les personnes que vous allez faciliter (ne jouez pas comme Anne-Laure votre identité sociale dans l’affaire) ;
- se faire aider sur la conception. Déjà, faciliter n’est pas facile, demandez de l’aide pour créer votre déroulé et profitez de l’expérience de quelqu’un si possible !
- enfin, avoir envie d’aider cette personne, ce collectif !
Comment trouver un bac à sable ? La suggestion est de chercher dans votre réseau de connaissance. Est-ce que quelqu’un n’est pas en train de lancer un projet ? Ou quelqu’un qui travaille dans une association ? C’est l’occasion de proposer votre aide à des gens qui n’ont a priori pas de budget : projet citoyen, parents d’élèves, asso sportive, personnes qui lancent leur boîte…
Une fois passée l’étape du bac-à-sable (si possible plusieurs fois), l’étape suivante, c’est de co-faciliter. Trouver un·e facilitateur·rice expérimenté·e et monter à bord avec elle ou lui. La co-animation présente de nombreux avantages ! Elle permet de s’immerger dans du concret, sans risque, d’observer de près la pratique et de se tester avec un filet de sécurité.
Enfin, dernière étape clé de la pratique : concevoir sa séquence avant de l’animer. C’est un exercice particulier, qu’on recommande de faire après avoir expérimenté le travail en salle, face à un groupe. Cela permet de rendre concrète toutes les questions à se poser : combien de temps doit durer cette séquence ? à quel moment faire la pause ? comment m’adapter si tel module ne prend pas ? Anne-Laure :
« Le plus difficile est de se projeter concrètement avec le groupe. Facilitateur est un métier concret : le nombre de personnes, le matériel, la disposition des salles, le temps que ça prend d’organiser un tour de parole. En tant que débutante, je n’avais aucun référentiel pour concevoir un déroulé réaliste. Marie Granger, associée chez EPIGO a été d’une aide précieuse, notamment lors de séances de ping-pong sur la conception de mes déroulés. Avec beaucoup de douceur et de patience, elle m’a donné suffisamment de liberté et de confiance pour suivre mes intuitions. En ayant au préalable challengé chacune de mes séquences : 1. quelle est mon intention pour le groupe avec ce module (input)? 2. Quel livrable je souhaite faire produire à l’issue du module (output)? »
En effet, le parcours d’apprentissage est plus simple et nourricier si on a la chance d’être supervisé par un·e facilitateur·rice plus senior. C’est ce qu’a vécu Anne-Laure :
« La supervision est indispensable pour progresser, se lancer et aussi ancrer les apprentissages. J’ai donc eu la chance d’avoir la meilleure d’entre-toutes : Marie Granger. Après chaque atelier on se voyait autour d’un thé pour débriefer : Qu’est ce que j’ai aimé dans l’animation ? Qu’est-ce qui était confortable ? Qu’est-ce qui s’est mieux passé que la dernière fois ? Qu’est-ce qui a été moins facile ? Pénible ? A quel moment j’ai ramé avec le groupe, où je me suis emmêlée les pinceaux, où j’ai rougis et re-rougis d’avoir rougis (enfer pour la facilitatrice un peu pâlotte victime du syndrome de l’imposteur). Et le plus crucial : faire la distinction entre ma perception d’un côté et les retours du groupe (déclusion) et du client (débrief) de l’autre. L’écart peut être immense et le questionnement de Marie a été précieux. Dernier point : progressivement me faire évoluer d’une phase la connaissance à l’autre : du “je ne sais pas ce que je ne sais pas” à “je sais ce que je ne sais pas”. Il faut pour cela du courage de la part du débutant qui regarde sa pratique sans fards et de la bienveillance de la part du superviseur. Je crois que j’ai bénéficié des deux.”
5. Se situer : quelle facilitation je souhaite proposer ?
On parle de facilitation, mais en réalité ce terme regroupe des réalités, des approches très différentes. Maintenant que vous avez entamé votre pratique, échangé avec des pairs, il peut être intéressant de vous situer. C’est à dire de clarifier quelle est votre approche du métier, de quelle école vous vous réclamez, quelles sont vos convictions. Cela vous permettra de positionner votre offre de façon impactante.
Pour contribuer à votre réflexion et sans avoir la prétention de détenir une vision exhaustive du sujet, voici différents courants que j’ai croisés et trouvé intéressants.
- Design thinking : de ma fenêtre, c’est une des clés d’entrée majeure dans la facilitation. D’une méthodologie développée initialement pour concevoir de nouveaux produits ou services, c’est devenu aujourd’hui un indispensable de toutes les démarches collaboratives ou d’innovation. Il est bon de savoir en parler, de comprendre son fonctionnement, car c’est souvent une référence pour les clients. Nous croisons souvent le design thinking au sein des équipes d’innovation, dans les labs. C’est une approche riche, car documentée et faisant référence. Il me semble cependant que ce n’est pas, en tant que tel, une école de la facilitation (et pour ce qui est de l’innovation, nous préférons le lean startup !).
- Gouvernance partagée : ou comment utiliser (notamment) la facilitation au service d’un nouveau traitement des enjeux de pouvoir dans les groupes. Les approches de la gouvernance partagée sont très intéressantes politiquement : elles suggèrent qu’avec des outils, une posture, de la méthode, on peut remettre en question la « nécessaire » verticalité des organisations. J’ai été très marqué par l’Université du Nous, qui propose de nombreuses formations et contenus de super qualité en ligne. C’est une approche centrée sur les questions sensibles réflexives : comment on fonctionne, comment on pourrait changer. La gouvernance partagée et ses différents courants (sociocratie, holacratie, etc.) sont aussi une formidable boîte à outils pour construire et décider ensemble, avec notamment la Gestion par Consentement.
- Group Genius ou l’approche MG Taylor : comment tirer le meilleur d’un grand groupe ? C’est une de mes grandes découvertes de la facilitation. Cela a commencé avec la référence d’une boîte de facilitateur·rices où j’ai vu pour la première fois mentionnés Matt et Gail Taylor. Une recherche internet plus tard, j’ai acheté Leaping the abyss, un livre étrange, racontant des workshops de 3 jours, réunissant 150 personnes, avec des résultats incroyables. Or, sur internet, à cette époque, quasiment aucune ressource, si ce n’est un site datant de 2022… Quel mystère ! Mes recherches m’ont amenées à identifier l’ASE de Capgemini, qui applique les méthodes de MG Taylor et qui a formé un grands nombres de facilitateur·rices. Au fur et à mesure, j’ai découvert un corpus extrêmement riche, une approche hyper ambitieuse, un grand effort sur le cadrage amont, bref, une très grande source d’inspiration. Les 2 livres cités au début de l’article sont d’ailleurs écrits par des praticiens de ces méthodes !
- Créativité : c’est à cette chapelle que j’ai été formé. De nombreux praticiens ont été des références dans les années 90, 2000, mais, il me semble, sont moins visibles aujourd’hui. C’est pourtant une boîte à outils hyper riche, avec le Creative Problem Solving dont j’ai déjà parlé, les travaux de Guy Aznar, de Luc de Brabandère.
Dans ce que je connais moins mais qui parait très intéressant, il y a notamment l’Art of Hosting. Et bien sûr, la facilitation graphique, qui est très en vogue et pertinente. Je suis preneur d’autres approches pour compléter !
Il me semble intéressant de piocher dans les différentes approches, de se nourrir des différentes écoles, pour se construire. Ces branches de la facilitation sont en effet chacune autant de boîtes à outils, d’occasions d’explorer de nouveaux territoires, de remettre en question sa pratique… bref, de progresser !
6. Progresser : faciliter, ça peut être l’œuvre d’une vie !
Vous vous êtes lancé·e dans la facilitation, avez animé un certain nombre d’ateliers, vous avez creusé votre sillon dans une des méthodologies, vous développez votre propre style, bref, vous êtes devenus facilitateur ou facilitatrice. Félicitations ! La question, il me semble, est maintenant de développer et d’entretenir votre pratique. La facilitation est un art (au sens mineur du terme), une pratique sensible et donc quelque chose qu’on peut et qu’on doit maintenir vivant. Il s’agit de progresser, de lever la tête du guidon, de s’inspirer et de sortir régulièrement de sa zone de confort.
Se faire faciliter. C’est, de mon expérience, une des façons les plus puissantes d’avancer dans sa pratique : regarder d’autres faire et plus que ça, ressentir ce que ça fait d’être accompagné·e par un·e facilitateur·rice. C’est une super occasion de s’inspirer, de découvrir des modules, des approches, mais aussi de se définir en creux et de clarifier ce qu’on ne fait pas.
Travailler la partie amont, le cadrage. Le travail de design avec son client (qu’on appelle co-design, sponsor engagement, clarification ou cadrage) est une des composantes essentielles du métier. Ce n’est pas nécessairement la première chose qu’on développe, mais on réalise vite que c’est un facteur clé de succès pour les ateliers : bien avoir défini le problème avec son client ! Je peux vous conseiller le replay d’un webinaire que nous avons proposé sur le sujet, ainsi, évidement, que les 2 ouvrages mentionnés en début d’article.
Varier ses formats. C’est un conseil lu chez Philippe Labat : à chaque animation, s’obliger à avoir un pourcentage (20 % ?) de nouveaux modules, conçus pour l’occasion. Pour développer sa pratique et aussi pour ne pas s’ennuyer, il est essentiel de piocher dans d’autres boîtes à outils, voire d’inventer des séquences. Quelques centres de ressources bien utiles :
- Un blog autour de l’agilité qui recense un très grand nombre d’outils : Coach Agile
- Un centre de ressources venu du Québec, de grand qualité : Communagir
- Un blog avec de nombreuses ressources sur la facilitation et la facilitation graphique : Bloculus
Travailler sur soi. En tant que facilitateur·ice, vous êtes votre propre outil de travail. Il est donc bienvenu, pour s’assurer de bien faire le boulot, de vous intéresser à l’outil ! On parle beaucoup de position meta : il s’agit de parvenir à prendre du recul sur soi pour se voir en facilitateur·ice. Comment maîtrisez-vous la méthodo ? Surtout, comment évolue votre posture ? Qu’est-ce qui est facile, difficile ? Profiter des écueils, des difficultés, pour mieux comprendre des choses sur vous : tel chef qui n’a pas écouté vos consignes, cela vous a glacé·e, quelle est votre conclusion sur la question du pouvoir ? Il est bon de réfléchir à ces sujets avec d’autres. Il est bon, aussi, d’aller se former à d’autres approches autour du lien, de la compréhension des gens et aux métiers connexes (exemples : l’IME sur le stress, l’Ecole de l’Art Oratoire sur la prise de parole, …)
S’inspirer et prendre de la hauteur. Je ne ferais qu’effleurer le sujet, mais la facilitation charrie beaucoup de choses. On peut s’améliorer en regardant des vidéos inspirantes, en ayant de meilleures conversations avec ses amis, en lisant des livres… Il est bon d’ouvrir les chackras pour être encore plus disponible à son groupe le moment voulu. Je vous recommande donc, pour vous nourrir :
- la liste de ressources de Lily Gros, riche et pertinente ;
- ce très bel article de Philippe Labat : faciliter ma vie de facilitateur, qui décrit comment prendre soin de soi pour être un meilleur professionnel ;
- de lire et de méditer sur les axiomes de Matt et Gail Taylor, une série de phrases qui me guident encore souvent lors de mes facilitations (vous pouvez creuser avec les livres de Rob Evans).
Conclusion
La facilitation est une croyance forte dans la nécessité de la coopération, un cadeau aux groupes, une proposition pour le monde et potentiellement un beau métier. Se lancer n’est pas facile, mais c’est simple : il suffit… de se lancer !