La culture 4/ un bien commun — posture de l’acteur

Cet article fait partie d’une série de 4 posts décrivant 4 approches de la culture d’entreprise.

La culture, au-delà de son rôle dans le destin des entreprises peut être vue, analysée, comprise au sein de chaque groupe humain, chaque organisation. Partager les mêmes croyances, c’est même une des façons de définir un groupe. Pas de groupe sans culture, pas de culture sans groupe.

Nous souhaitons explorer ici une approche de ce sujet du point de vue de l’intérêt du groupe, de ses membres. Jusque-là, nous avons considéré la culture comme un objet à contrôler, à analyser, à changer, mais systématiquement comme un objet à la main du chef, du leader. Qu’en est-il de celles et ceux qui sont dans la culture et la font ?

Nous considérons que la culture appartient à ceux qui la vivent. Elle n’est pas la propriété du dirigeant de l’organisation. Il peut être important de la faire évoluer, de travailler à sa révélation partielle, mais, cela ne peut se faire qu’avec l’accord, l’engagement des membres de l’organisation. L’évolution de la culture doit correspondre, in fine, à l’intérêt des membres de cette culture.

Notre objectif : donner des marges de manœuvre, individuelles et collectives pour servir les intérêts de l’individu ou du groupe, s’adapter à la réalité. Et pour cela prendre en compte le facteur culturel, c’est à dire les croyances non formulées qui gouvernent à nos actions, dans une perspective qui incite à la modestie.

Pour cela, il peut être intéressant d’utiliser les différents outils évoqués dans les posts précédents (du choix du leader visionnaire à la facilitation d’atelier de design de culture), en tant que collectif. Nous souhaitons ici proposer quelques briques fonctionnelles supplémentaires destinés à des collectifs souhaitant s’emparer de la question de leur culture.

Développer une capacité d’observation, de révélation

La culture est par essence quelque chose d’invisible, de souterrain. Et c’est via ses manifestations que nous pouvons l’observer : difficulté à faire évoluer les façons de travailler, tensions liées à l’arrivée d’une nouvelle personne. Elle est composée d’allants-de-soi, pratiques tellement évidentes qu’elles ne sont plus visibles.

Pour se donner une marge de manœuvre, créer une faille dans les automatismes ou autoriser des conversations productives, il peut être utile de développer une capacité à révéler les mécanismes sous-jacents qui nous guident. Quelques exemples d’outils :

  • La révélation des postulats : en amont d’une conversation difficile, demander à une des personnes d’écrire le script de la conversation sur la moitié gauche d’une feuille, puis, à droite, de noter les interprétations attendues des uns et des autres. Utiliser ensuite ce document comme base d’échange (méthode décrite à la fin de cet article ennuyeux).

  • Le feed-back positif : outil formidable permettant de récolter réellement de l’information sur ses modes de fonctionnement (une bonne description de la méthode ici).

 

Comprendre la réflexivité et se permettre d’agir à différents niveaux

La réflexivité (une des notions clés de l’ethnométhodologie, qui fonde certaines des idées développées ici) considère qu’il est impossible, pour un humain, d’observer une situation sans l’interpréter et que l’interprétation agit sur l’observation et ainsi de suite de manière circulaire.

Cela implique notamment qu’il est indifférent de modifier les faits ou leur interprétation. Ou encore, dans le cadre d’un échange, qu’il est possible d’intervenir à n’importe quel moment, sans se soucier de la causalité. Concrètement : A trouve que B se comporte d’une manière déplacée, qui nuit à l’ambiance du groupe. A en veut à B et attend logiquement que B change, qu’il s’adapte. A et B sont ici dans une boucle réflexive : l’action de B envers A renforce l’interprétation de A (B se comporte de façon déplacée) et renforce l’action de B (B se comporte conformément à ce que lui renvoie A). La bonne nouvelle liée à la notion de réflexivité est qu’il est indifférent d’agir sur B ou sur A. Une modification suffisante de l’action de B modifiera la perception de A, mais une évolution de la perception de A entrainera une modification des actions de B. Le problème, quand il est compris de manière systémique, se donne à résoudre de multiples manières.

Prendre en compte les émotions

La culture, en ce qu’elle est une série de pratiques destinés à nous éviter le coût de la réflexion est fortement liée aux émotions. Lorsque nous touchons à des croyances, des présupposés culturels, la réaction peut être violente (rejet, colère). Si l’on désire, en tant que groupe, se saisir de ce sujet, il faut le considérer sous son angle émotionnel : le terrain, le ressenti des gens, l’imprégnation seront les ingrédients nécessaires de toute évolution de la culture.

Formaliser le langage commun

Le langage commun constitue un des éléments de la culture d’un groupe. C’est un langage pragmatique, qui se comprend dans son contexte — l’environnement du groupe. Ainsi, parler de « créateur » peut avoir des sens très différents selon l’univers dans lequel on se situe : artiste reconnu dans un groupe d’amateurs de galeries (« quel créateur exceptionnel »), c’est un individu qui lance son entreprise dans le milieu du conseil aux startups (« comment accompagner le créateur au plus près de ses besoins ») ou encore dieu dans une conversation de théologiens (« c’est la confiance dans le créateur qui importe »). On peut inverser les phrases d’exemples, seuls le contexte et sa connaissance permettent la bonne interprétation du terme. Apprendre le langage du groupe est d’ailleurs la première tâche d’un nouveau venu. C’est ainsi qu’il se verra accordé le statut de membre.

Il peut être intéressant, en tant que groupe, de formaliser cette langue commune, sous forme de glossaire. Ça peut être l’objectif du rapport d’étonnement du nouveau venu. Et, via le principe de réflexivité, cela permet de faire exister la culture et d’agir sur elle. Nous sommes ce que nous verbalisons.

Réfléchir à périmètre constant — lutter contre l’envie d’exclure

Contre la volonté d’ostracisme (licencier ceux qui ne rentrent pas dans la culture), considérer la richesse de la diversité : les leçons des articles précédents nous disent que la culture n’est jamais aussi présente que lorsqu’elle nuit à la capacité d’évolution d’un groupe. Cela peut donc apparaître comme un bon investissement que de garder, à l’intérieur, les bizarres, les fous, ceux qui tâchent un peu la culture établie, afin de profiter de leur capacités différentes le jour où les conditions extérieures changeront (et éviter ainsi d’appliquer assez naïvement une discrimination à l’encontre les gens qui ne nous ressemble pas). C’est en maintenant une logique de diversité des points de vue qu’un groupe développe collectivement une capacité de mouvement et d’adaptation.

Finalité : se (re)définir collectivement

Ces briques ont vocation à contribuer, modestement, à la réappropriation, par le collectif, de son actif culturel. La finalité : pouvoir se définir, en tant que groupe, dans une perspective plastique. Il nous semble en effet que c’est un des enjeux actuels que de pouvoir faire du commun, du sens partagé, lorsque tant de grandes structures sont en train de disparaître ; et que ce commun ne soit pas un produit du pouvoir du chef ni une façon de rejeter les autres ou la réalité extérieure.